présentation des peintures synchronistiques

vendredi, mai 12, 2017

La pensée synchronistique

Max Ernst, Collage, in "Une semaine de Bonté" roman-collage, 1934
« J’écrivais des silences, des nuits, je notais l’inexprimable. Je fixais des vertiges. »
Arthur Rimbaud, Une saison en enfer, II, Alchimie du verbe

Dans chaque esprit humain, il y a un attracteur étrange qui sommeille.
Pour les non initiés aux théories du chaos, rappelons qu’un attracteur étrange est la figure géométrique stable qui apparaît lorsque l’on modélise l’ensemble des trajectoires possibles d’un système complexe à comportement chaotique, comme par exemple les phénomènes météorologiques.

J’appelle donc attracteur étrange, dans l’esprit humain, cette capacité mystérieuse, enfouie au plus profond de notre constitution psychique, qui nous permet de  découvrir et de révéler les relations cachées entre certaines choses qui n’ont a priori rien à voir entre elles, dispersées qu’elles sont aux quatre coins de l’espace-temps.

L’attracteur étrange est particulièrement développé chez les artistes et les poètes. Ils s’en servent pour débusquer les liens transcendantaux unissant des choses sans rapport objectif entre elles. Jung avait parlé de synchronicité pour qualifier les coïncidences signifiantes, moment où prennent un sens des combinaisons arbitraires de faits, qui ne devraient pas en avoir selon la logique du monde ordinaire. Ces coïncidences troublantes, expression d’une réalité acausale du monde, sont comparables aux mots de la poésie, assemblés selon un ordre caché.

Et qu’on ne se méprenne pas : l’attracteur étrange et son activité synchronistique ne sont en aucun cas une simple résurgence de la pensée analogique. Celle-ci, qui certes tente de voir entre les phénomènes d’autres liens que ceux de la causalité matérielle, relie les choses selon leur ressemblance formelle, et postule que cette ressemblance recouvre forcément une parenté d’essence, entraînant elle-même une similarité dans les interactions. C’est le B-A BA de la magie opérative.

Mais il ne s’agit pas de cela ; la pensée synchronistique va bien au-delà de la recherche d’analogies. C’est une pensée non systémique, capable de détecter les nouveautés absolues qui émergent, beaucoup plus fréquemment qu’on ne le croit, dans le continuum des enchaînements causes/effets. Si on croit que ces nouveautés sont simplement la marque du hasard, de l’indétermination de certains processus chaotiques, on ne peut alors expliquer l’existence, pourtant avérée en physique, des attracteurs étranges.

Quand il y a apparition de nouveauté absolue, c’est peut-être qu’il y a distorsion de l’espace-temps. 
Je m’explique : les dimensions de notre univers sont multiples (les astrophysiciens en imaginent jusqu’à une douzaine), mais la plupart ne sont pas déployées. Elles existent néanmoins, repliées dans l’espace et le temps de notre perception courante. Certaines situations leur permettent cependant de s’exprimer et de donner une impulsion particulière aux transformations qui rythment l’évolution de l'univers visible.
Il en va pareillement de la poésie, qui a le pouvoir de manifester ponctuellement ces dimensions cachées, donnant ainsi une profondeur inédite au petit théâtre qui agite les êtres matériels dans l’espace-temps, tels que nos sens et notre intellect les perçoivent habituellement. Elle les fait chanter comme les harmoniques d’un accord musical, les met en résonance avec le passé et le futur.

N’étant pas systémique, cette manifestation d’une réalité cachée ne produit pas à proprement parler de connaissance nouvelle, cumulable ou capitalisable par la science. On ne comprend pas mieux le réel quand on en restitue la poésie, mais on le ressent mieux, on entre en sympathie profonde avec lui. La pensée moderne, scientifique, nous fait connaître un univers extraordinairement vaste et structuré selon des lois remarquablement constantes. Mais si cet univers est bien réel, il n’est vraisemblablement qu’un tout petit fragment du Réel ; sa surface lisse ; la petite partie qui en émerge, perceptible par notre regard et par notre intellect, à la surface d’un océan de matière noire. Et cet océan de matière noire n’est autre que l’océan de notre ignorance.

Grâce à la pensée synchronistique, poètes et artistes plongent allègrement leurs antennes dans cette masse impénétrable aux lumières de la raison, et pêchent, au hasard de leur errance, des poissons mystérieux qui entrent dans la nasse de leurs rêves, et les aident à ciseler des œuvres sibyllines, parfois difficiles à comprendre, mais, lorsqu’elles sont authentiques, plus vraies que toutes les dissertations scientifiques sur le réel étriqué.

La pensée synchronistique est une transcendance, une mystique, une religion sans Dieu, sans dogme, et sans système d’exégèse. Elle est fusionnelle et inexplicable, mais elle sert néanmoins à ensemencer notre intellection, et aide la raison à ouvrir de nouveaux sentiers à travers la jungle du Réel, à jamais foisonnante et inextricable…

samedi, mai 06, 2017

Dédale

Gilles Chambon, Dédale, huile sur toile 70 x 50 cm, 2017
Dédale, selon la légende, était le plus grand des architectes de la Grèce antique. Il construisit le labyrinthe pour le roi Minos, s’échappa de Crète par les airs en fabriquant des ailes pour lui et son fils Icare, réalisa de nombreuses statues dans toute la Grèce, construisit de grands monuments en Sicile, puis en Sardaigne où, selon Salluste, il termina ses jours. On lui attribue parfois les mystérieux "nuraghes", ces tours mégalithiques en forme de cônes tronqués, qui parsèment le sol sarde.

Étant architecte moi-même, je me devais de lui rendre un hommage pictural.

Dans ce tableau synchronistique, j’ai donc recomposé des nuraghes imaginaires qui forment une sorte de labyrinthe géométrique. Pour cela,  j’ai détourné un fragment d’une nature morte de Picasso de 1912, et réinterprété une peinture de Massimo Scolari (lui aussi peintre et architecte), de 1973, qui représente justement un paysage du nord-est de la Sardaigne. Et j’ai enfin eu recours, pour évoquer la figure de Dédale, à l’homme ailé que Francisco Goya dessina pour la gravure n° 13 de sa série des Disparates, « Modo de volar ».