présentation des peintures synchronistiques

lundi, janvier 25, 2016

Le Christ aux limbes (hommage à Agnolo Bronzino et à Alberto Burri)

Gilles Chambon, Le Christ aux limbes, huile sur toile 90 x 65cm, 2016
La première épître de Pierre indique que le Christ, après avoir été mis au tombeau, et avant sa résurrection (c’est-à-dire entre le Vendredi saint et le jour de Pâques), s’est rendu en enfer, dans les limbes plus exactement, pour « prêcher aux esprits en prison » (3, 19). Les limbes étaient ce lieu où se trouvaient assignés à résidence les âmes des justes qui, nés avant la rédemption qu’apporta Jésus aux hommes, ne pouvaient accéder au paradis, puisqu’ils étaient souillés malgré eux par le péché originel.
La scène du Christ aux limbes a souvent été représentée par les peintres. Au Moyen-Âge, c’était généralement prétexte à imaginer la gueule de l’Enfer entourée de démons ; Jésus venait y délivrer Adam, Eve, et tous les anciens patriarches. 

Psautier de St Alban, le Christ descend aux enfers, c. 1135, Hildesheim, Dombibliothek MS. God. 1
À la Renaissance, Martin Schongauer, Friedrich Pacher, ou encore Pieter Bruegel l'Ancien, suivaient toujours plus ou moins cette tradition.

Martin Schongauer, La descente du Christ aux limbes, gravure sur cuivre, c. 1480

Friedrich Pacher, Le Christ aux Limbes, 1460, Musée des Beaux-Arts de Budapest

Pieter Bruegel l'Ancien, La descente du Christ aux limbes, gravure, 1561
Mais une rupture avec l'« image d’Épinal » d'un enfer peuplé de monstres viendra  d’Italie, évidemment : c'est Mantegna, d'abord, qui accomplit une véritable révolution : il invente en 1468 pour Ludovic Gonzague une version très osée du Christ aux limbes, dans laquelle le Christ, en position centrale tourne le dos au spectateur. Il n’y a plus ni diablerie (deux diables volent cependant encore dans la première version), ni gueule d’Enfer, juste le travail minutieux des anatomies et des drapés, et une porte brisée, qui sera remplacée dans la seconde version de 1470-75 par l’entrée d’une simple grotte, très naturaliste. 

Andrea Mantegna, La Descente aux limbes c. 1468, plume, encre et lavis brun sur vélin, (dessin de la fresque de la chapelle du Castello di San Giorgio de Mantoue, détruite) Paris, Ecole nationale supérieure des Beaux Arts, inv.189
Andrea Mantegna, La descente aux limbes, c. 1470-75, tempera sur toile, The Frick Collection, New York
Un demi-siècle plus tard, le maniérisme redonnera davantage de théâtralité à l'épisode : non plus à la façon pittoresque et fantastique du Moyen-Âge, mais en imaginant une scénographie complexe des corps, avec des déhanchements exagérés, appelées figura serpentina et contrapposto. Domenico Beccafumi, Agnolo Bronzino, excelleront dans cet exercice, et avant eux Sebastiano del Piombo, qui travailla à Rome auprès de Raphaël.
Domenico Beccafumi, Descente du Christ aux limbes, c. 1530-35, Pinacothèque nationale de Sienne
Agnolo Bronzino, La descente du Christ aux limbes,1552, Musée de l'Œuvre de Santa Croce, Florence
Sebastiano del Piombo, Le Christ aux limbes, 1516, musée du Prado, Madrid
Le Christ aux limbes de Sebastiano del Piombo me servira de trait d’union avec la peinture moderne ; il a en effet été repris et réinterprété par Cézanne (il ne nous reste hélas qu’un fragment de sa composition générale, peinte à l’origine directement sur le mur de la maison du Jas de Bouffan, aux environs d'Aix-en-Provence).
Paul Cézanne, Le Christ aux limbes, c. 1867, huile transposée sur toile, Musée d'Orsay, Paris

Le dessin est fidèle au tableau du Piombo, mais l’écriture violente, qui semble se souvenir de Goya, l’accentuation des contrastes, la simplification des lignes et des couleurs, l’abandon des finitions, du sfumato, et de la perspective, en font une composition éminemment moderne…

J’ai souhaité moi aussi traiter le thème du Christ aux limbes (voir image en tête de l'article) de façon à la fois  moderne et connectée à l’univers maniériste. Je suis donc parti d’une feuille d’étude d’Agnolo Bronzino :

Agnolo Bronzino, feuille d'étude avec deux nus et un bras droit, c. 1542-43, Musée des Offices, Florence

Cette feuille n’a en fait aucun lien avec son grand Christ aux limbes de Santa Croce (voir image plus haut). On y trouve d’un côté l’esquisse de deux des personnages du « Moïse frappant le rocher d’Horeb (appelé aussi allégorie du printemps) » de la Chapelle Eleonora de Toledo au Palazzo Vecchio, et de l’autre l’étude de la main droite du portrait de Stefano IV Colonna.

Deux oeuvres de Bronzino : à gauche, Moïse frappant le rocher, 1542-43, chapelle Eleonora de Toledo, Palazzo Vecchio, Florence ; à gauche, Portrait de Stefano IV Colonna, 1546, Galleria Nazionale d'Arte Antica, Rome
 
--> Fidèle à ma méthode synchronistique, je les ai jetés tels quels dans les limbes de la fournaise abstraite d’une œuvre sans titre d’Alberto Burri.

Alberto Burri, Sans titre, 1953, huile sur toile avec sable et morceaux de tissu, Courtesy Mazzoleni Art, Londres

La main de Stefano Colonna devient ainsi dans mon tableau la main rédemptrice d’un Christ invisible, et les deux Hébreux harassés deviennent les justes de l’ancien temps, libérés par le Christ descendu en enfer.
Curieusement, comme souvent dans la méthode synchronistique, le choix intuitif de la feuille d’étude de Bronzino pour incarner l’épisode du Christ aux limbes, se révèle porteur d’une convergence de sens. En effet le rocher d’Horeb frappé par Moïse a un sens symbolique directement relié à la rédemption offerte par le Messie: de même que des eaux vivifiantes s’élançaient du rocher frappé par le bâton de Moïse, de même du Messie, « frappé par Dieu, meurtri et brisé à cause de nos iniquités » (Ésaïe 53 : 4, 5), jaillit le fleuve du salut appelé à sauver notre humanité perdue. Comme le rocher avait été frappé une seule fois, le Messie serait « offert une seule fois pour ôter les péchés de tous » (Hébreux 9:28).

Et pour plaisanter un peu, je dirai que beau travail d’Alberto Burri, maintenu jusqu'à présent dans les limbes de la peinture abstraite, se voit, grâce à mon intervention synchronistique et à l'action rédemptrice des dessins de Bronzino, propulsé dans le paradis de la peinture figurative!

vendredi, janvier 01, 2016

Vénus jardinière


Gilles Chambon, Vénus jardinière, huile sur toile 30 x 70cm, 2015

Petit clin d’œil à toutes les Vénus, odalisques, Maja, Olympia, et autres belles alanguies qui ont marqué l’histoire de la peinture depuis la Vénus endormie de Giorgione (1510).

Ma Vénus jardinière renoue avec la tradition renaissante d’origine qui plaçait la déesse de l’amour dans un paysage agreste. Cependant ici le paysage est plutôt fauve et symboliste, puisqu’on y retrouve (suivant la méthode synchronistique) les traces d’une œuvre d’Auguste Macke et quelques touches transposées de Paul Sérusier. Quant à la déesse, je l’ai détournée d’un beau tableau que le peintre siennois Domenico Beccafumi avait réalisé vers 1519 pour la tête de lit de la chambre à coucher de Francesco Petrucci et de sa femme Caterina Piccolomini. Vénus présidait bien sûr à la fertilité du couple, comme elle veille ici sur l’épanouissement végétal, et au-delà, symboliquement, sur la fécondité de la peinture.

P.S. : Bonne et heureuse année 2016 à tous les lecteurs de ce blog !!