présentation des peintures synchronistiques

dimanche, janvier 28, 2024

Diane et Actéon

Gilles Chambon, "Diane et Actéon", huile sur toile 73 x 54 cm, 2024

 

Actéon, le chasseur transformé en cerf et dévoré par ses chiens pour avoir profané la nudité d'Artémis/Diane :

- ce mythe a été interprété par Hans Biedermann (philosophe autrichien, 1930-1990) comme le souvenir d'un rituel ancien de sacrifice humain en hommage à Artémis ;

- Sartre y avait vu pour sa part une illustration du complexe du savant, pareil au « chasseur qui surprend une nudité blanche et qui la viole de son regard » ; donc l'homme détruit par sa soif de lumière, comme Icare se rapprochant trop du soleil.

 

Dans cet esprit on pourrait encore y voir une préfiguration symbolique de la violence révolutionnaire : ainsi Robespierre, icône de la Terreur, chassant et faisant guillotiner par la Convention tout supposé ennemi de la Révolution, avant que celle-là, ayant compris l'engrenage fatidique de l'idéologie révolutionnaire, se retourne contre lui pour le guillotiner le 9 thermidor de l'an II.

 

Ce tableau synchronistique détourne et réinterprète quelques fragments du Diane et Actéon du Cavalier d'Arpin (Louvre), ainsi que de la fresque de la chambre de Diane du château de Fontanellato (Le Parmesan). Deux des chiens dérivent aussi d'une fontaine de Diane et Actéon (jardin du Palais Royal de Caserte, Italie). Quant au paysage, il est une transposition personnelle d'un tableau de Claude Maréchal (1925-2009)  Printemps exubérant, 1982.

mardi, janvier 09, 2024

Jonas, ou la seconde naissance

 

Gilles Chambon, "Jonas, ou la seconde naissance", huile sur toile 50 x 73 cm, 2024


Si la baleine a recraché Jonas, c'est parce qu'il a enfin accepté de dire aux habitants de Ninive la vérité sur leurs mauvaises mœurs. Devant cette mission difficile que lui avait confiée Dieu, il avait d'abord voulu fuir, mais jeté par-dessus bord lors d'une tempête, le cétacé envoyé par le Seigneur l'avait englouti... pour qu'il se ravisât, durant les trois jours et trois nuits dans les entrailles du monstre, vécus comme une mort.

Devant l'épreuve on a en effet parfois envie de fuir, ou de se recroqueviller, comme dans le ventre de la mère.

C'est ce qui est arrivé à Jonas, dans le ventre de la mer, car comme le dit Carl Gustav Jung, plonger dans le ventre de la baleine, c’est revenir à l’enveloppe protectrice maternelle.

La sortie hors de la gueule du monstre est donc comme une seconde naissance : c'est prendre ses responsabilités, s'exposer aux regards malveillants, et ne plus avoir peur de clamer sa pensée, même si elle ne cadre pas avec la bienséance de l'idéologie dominante.

La peinture synchronistique est selon moi une seconde naissance de la peinture contemporaine, parce qu'elle fait comme Jonas, et ne craint plus de dire aux artistes conceptuels qu'ils sont égarés sur le mauvais chemin, et qu'il faut revenir aux fondamentaux !

 

Ce tableau synchronistique transpose un personnage du "Martyre de saint Matthieu" (Caravage, entre 1599 et 1601 chapelle Contarelli de l'église Saint-Louis-des-Français de Rome) et une baleine d'un Jonas de Paul Bril ("Jonas et la baleine", c. 1590, huile sur toile 128 cm x 175.5 cm Collection Wawel Castle, Cracovie), dans un paysage réinterprété de Henri Hayden ("Paysage méditerranéen", 1921, huile sur toile 66 x 92 cm)

jeudi, janvier 04, 2024

Le Sacré dévoyé

 

Matthias Grünewald, Crucifixion, retable d'Issenheim, entre 1512 et 1516, tempera et huile sur bois de tilleul, musée Unterlinden, Colmar

 

Andréa Serrano « Piss Christ »,  représentant un crucifix plongé dans un fluide orangé composé d'urine et du sang de l'artiste, 1987

Le sacré, nous a dit Jean Clair (La beauté et le sacré, communication mai 2011), c’est la façon de ressentir et de traiter le numineux, les forces et les choses qui signifient et semblent agir sur nous en dehors des banales explications rationnelles ou matérialistes. La religion est une des façons de traiter le sacré. Notre monde contemporain l'a de plus en plus remplacé par une sacralisation collective et obsessionnelle du ludique, c’est à dire de l’inverse du numineux. Toutes les formes de star system, de footballomanie, sont significatives de ce phénomène mondial qui marque notre temps : le désir de foi partagée et de rituel collectif s’est cristallisé non plus sur le divin (le transcendantal des religions), mais sur le surhumain ordinaire, mondain, sur la magie que représentent pour les foules, les humains au charisme ou aux dons exceptionnels. Foi et adulation se confondent ; non pas idolâtrie comme dans les temps anciens où certains croyants confondaient le divin avec sa représentation matérielle, mais véritable dévotion envers des humains semblables à nous. Le sacré n’est plus un monde à part, transcendant, mais une contrée particulière du monde profane. Ce n’est plus un sommet élevé d’où l’on communique avec le ciel, au risque d’être anéanti par le feu divin, mais une simple colline d’où l’on contemple avec délectation, comme au-dessus de la mêlée, la populeuse plaine humaine et ses marécages. 

 

Évidemment, les médias et leur exceptionnelle expansion depuis un siècle, sont à l’origine de ce renversement : chaque soir, la comédie humaine est maintenant présentée et mise en scène en temps réel sur le petit écran, et l’espace virtuel de la télévision, qui pénètre chaque foyer, devient cette sorte d’espace sacramentel, pseudo divin, où sont élus les demi-dieux humains dans lesquels chacun rêve de se reconnaître. Le paradis qui, dans les religions, était promis après la mort – c’est à dire hors de la matérialité humaine et du monde géographique, fait son retour sur terre et devient accessible à chacun, pourvu qu’il sache manœuvrer et se propulser en haut de la scène médiatique.  Et une autre vérité nouvelle se fait jour : la réussite médiatique attire l’argent, et l’argent attire la fascination médiatique ; César et Dieu se confondent. On n'essaie plus désespérément d’acheter, comme au moyen âge, l’indulgence divine à un intercesseur clérical, mais on compte sur le pouvoir magique de la fortune pour attirer le divin, pour le susciter, le produire. Le sacré contemporain a donc ceci de nouveau qu’il se gagne avec de l’argent, et qu’il produit de l’argent. 

 

Et l’Art, là-dedans, me direz-vous ? Et bien voilà : il fut jadis un acte de ferveur, dirigé vers dieu ou vers la beauté; Jean Clair rappelle cette phrase des Confessions de Saint Augustin : « Pour les interroger [les créations divines qui assaillent nos sens], je n’avais qu’à les contempler et leur réponse, c’était la beauté. » ; aujourd’hui, l’art est devenu acte de ferveur à soi-même, ou démonstration d’une capacité, d’une prétention de chaque artiste impétrant à être starisé, et donc divinisé selon le rituel de la sacralité médiatique. On admirait autrefois les œuvres d’art parce qu’elles renvoyaient à une transcendance, on admire aujourd’hui les objets d’art contemporain parce qu’ils renvoient à la personnalité divinisée – ou simplement héroïsée – d’un artiste.