présentation des peintures synchronistiques

vendredi, juin 29, 2007

Portrait de retrouvailles et retrouvailles du portrait

Les retrouvailles des deux sœurs (huile sur toile en cours de réalisation, détail)

Je peins ici la connivence de ma belle mère et sa sœur religieuse, qui se retrouvent de temps à autre, lorsque la hiérarchie ecclésiastique de la seconde le leur permet. Plaisir d’un moment privilégié, longue amitié de sœurs, amour irraisonné de Dieu qui les relie aussi.

Curieusement, en faisant cette toile, j’ai pensé à deux œuvres de l’histoire de la peinture en apparence totalement antithétiques : une œuvre faite d’humilité et de foi, « l’ex-voto » de Philippe de Champaigne (sans doute à cause du costume de religieuse), et une œuvre de plaisir et de sensualité, « Gabrielle d’Estrées et la duchesse de Villars », d’un peintre de l’école de Fontainebleau (plutôt à cause de la disposition des personnages, et de leur sororité).
La première de ces deux œuvres exprime la ferveur partagée d’un moment miraculeux ou la fille du peintre, soeur Catherine de Sainte Suzanne, religieuse à Port-Royal, retrouve miraculeusement la santé dans une prière avec la mère supérieure ; la seconde est un hommage à la beauté des corps, mais aussi à la fécondité, puisque Julienne, petite sœur de Gabrielle, lui pince le téton indiquant par là la royale grossesse de son aînée, heureux événement qui est confirmé par la suivante en train de coudre une layette à l’arrière plan.

Il y a dans l’histoire de la peinture quelques autres célèbres doubles portraits, comme la fresque de Bramante représentant Héraclite et Démocrite, ou encore «Les époux Arnolfini» et la Vierge au Chancelier Rollin de Jan van Eyck (dans ce tableau l’enfant Jésus ne constitue pas à proprement parler un troisième personnage, mais est traité comme une sorte de prolongation de Marie, avec laquelle il forme une seule unité).
Plusieurs choses retiennent l’attention dans ces œuvres duales :
- la résonance particulière des deux personnages ;
- le jeu des regards qui, soit se fixent sur le spectateur, soit s’évadent vers un ailleurs insaisissable, soit encore construisent un rapport asymétrique, un seul des deux s’orientant vers son voisin, car jamais les regards ne se croisent, ces portraits n’étant pas de simples vis a vis ;
- Mais le plus important, c’est le décentrement des sujets par rapport au tableau, du à la bipolarité : les personnages représentés sont rejetés sur les côtés, ouvrant le point focal sur une vacuité qu’il faut remplir : là vont donc converger le rêve, l’imaginaire, la symbolique, donnant à ces œuvres une mystérieuse complexité.

Emboîtant le pas à cette tradition, mon double portrait explore l’espace symbolique qui entoure ma belle mère et sa sœur. Il n’est pas construit intellectuellement ; il s’est imposé intuitivement, et de façon totalement irrationnelle, de sorte qu’il reste aussi pour moi une forme de rébus insolite, dont je découvre peu à peu les résonances.
Sur le détail présenté ici, on voit seulement un gros escargot qui rampe le long d’un meuble énigmatique : intrigué moi-même d’avoir placé là ce gastéropode, je me suis enquis de son symbolisme, et j’ai découvert que la « forme en spirale de la coquille de l'escargot est, selon Germaine Dieterlen, un glyphe universel de la temporalité, de la permanence de l'être à travers les fluctuations du changement » ; que « cette forme en spirale évoque aussi le tracé du labyrinthe initiatique… L'escargot, qui sort de terre après la pluie, est un symbole de régénération cyclique, de la mort et de la renaissance » ; ou encore « …l’escargot, avec sa maison sur le dos, avec son temps de petites expériences sur les épaules, mais avec la capacité de lever les yeux et les antennes au-dessus de sa tête, de son corps, au-dessus de la matière inerte et pesante… » (Délia Steinberg Guzman). Je trouve que tout cela convient assez bien à mes deux personnages.

samedi, juin 16, 2007

NOTE SUR L’ARCHITECTURE ANTILLIENNE

la construction d'une maison antillienne, huile sur toile marouflée, G. C. 1988


« Ce qui compte absolument pour l’architecte antillien, c’est une connaissance détaillée de la vie de l’individu pour qui il construit. Car toute construction est considérée comme une consolidation du passé, une sorte de pose, un point de récapitulation qui permet à celui qui fait construire de prendre du recul, et de repartir dans son existence sur des bases plus claires. Une maison, c’est un rappel, un regard différent porté sur le passé ; un peu comme chez nous une psychanalyse. Il faut sonder l’être en profondeur pour réaliser une véritable demeure correspondant à cet être, à un instant donné. Évidemment, cette façon de procéder fait beaucoup appel au symbolisme.
On pourrait penser que cette architecture, étant très personnalisée, risque d’être très difficile à reconvertir, quand change le propriétaire. Plus difficile encore que l’architecture fonctionnaliste, si décriée chez nous, en raison de sa rigidité et de la difficulté qu’il y a à modifier sa destination lorsque changent les besoins ou les exigences. Mais nous sommes accoutumés à voir les choses avec beaucoup d’étroitesse ; les Antilliens, eux, distinguent très clairement l’acte de construire, d’édifier, et l’acte d’habiter, d’occuper un lieu et de se l’approprier. Si l’acte de construire peut se comparer à une psychanalyse, et donc à la décision de marquer une étape dans sa vie en instaurant une relation spéciale avec un thérapeute – ici l’architecte –, l’acte d’habiter, lui, relève de la quotidienneté. Il peut se comparer à n’importe quel lien affectif banal, qui se tisse, au fi l des événements de la vie, avec toutes sortes de personnes. Le lien psychanalytique précise une relation de l’individu à soi-même, tandis que le lien affectif habituel résulte d’une relation spontanée à l’autre. Ainsi sur Antillia, l’architecte seul peut rendre possible la construction d’une maison, qui est la matérialisation révélée de la relation du maître d’ouvrage à lui-même. Tandis que l’habiter ne nécessite aucune condition spéciale : il est possible à chacun, au quotidien, de personnaliser sa relation avec toutes les maisons qu’il est amené à occuper temporairement, même si elles ne correspondent pas du tout à ce qu’il aurait réalisé s’il avait eu la volonté de construire. » Souvenirs d’Antillia, conte philosophique, à paraître cet été aux éditions Amalthée.

samedi, juin 09, 2007

LA PEINTURE TRADITIONNELLE FACE AU MONDE CONTEMPORAIN


Y a-t-il encore une place dans le monde mondialisé du XXIe siècle pour les peintres de chevalet en activité ? Les critiques d’art souriront certainement d’un air entendu, et taxeront les artistes peintres traditionnels d’archaïques ou de ringards. Pourtant, les peintres de chevalet du XIXe siècle ou d’avant font toujours un tabac, non seulement dans les musées et les collections privées, mais aussi à travers l’édition de livres et de reproductions.
S’il y a donc bien un goût pour la peinture traditionnelle, pourquoi ce goût se cantonne-t-il aux artistes du passé ? Ceux d’aujourd’hui sont-ils tous nuls, les bons délaissant le pinceau pour la vidéo ou la toile de sommier recyclée ?

Je ne suis pas assez masochiste pour croire cela. Simplement les peintres de chevalet contemporains ne symbolisent plus rien de pertinent dans l’imaginaire actuel. C'est donc une question de signification.

Mais tout n’est pas joué, et j'ai confiance en l’avenir de cette peinture, décriée par les élites parce qu’elle repose sur une technique du passé.
Pour mieux comprendre, faisons un détour par le monde de la musique.
Comparaison n’est pas raison, mais on observe cependant des similarités éclairantes, et quelques divergences non moins significatives d’un domaine à l’autre. Commençons par les similarités : comme pour la peinture, il semble que l’engouement pour les compositeurs de l’ancien temps (de Pergolèse à Debussy, pour faire large), n’ait jamais été aussi grand, et la diffusion de leurs œuvres jamais aussi étendue ; et a contrario, comme pour l’art plastique, les "grands" compositeurs actuels ont recours à des esthétiques radicalement différentes, qui ont du mal à pénétrer le public populaire.
Quant à la pratique large de la peinture amateur (appelée par mépris peinture du dimanche), elle trouve son parallèle dans la vitalité de la musique populaire de variétés. Mais là s’arrête le parallélisme. La musique populaire pratiquée au départ par de petits groupes d’amateurs, est un creuset qui alimente l’industrie prospère du spectacle musical et du disque ; un grand marché existe pour les stars issues de cette musique populaire, et pour son renouvellement permanent ; elle est en phase totale avec la modernité. À l’opposé, la peinture du dimanche reste une pratique privée sans autre débouché que le cercle familial ou celui des amis.

Si le gratteur de guitare et le rappeur sont des jeunes qui réunissent une large audience autour d’eux et de leur talent, les peintres amateurs donnent plutôt l’image de retraités qui passent le temps qui leur reste en faisant des croûtes qu’ils cherchent à refiler à leur entourage.
Pourquoi cette dépréciation des peintres populaires par rapports aux musiciens populaires? Outre le caractère entraînant, d’emblée spectaculaire et collectif de la musique, la différence est pour moi liée au fait que dans la musique, la composition et l’interprétation sont dissociables, et de fait très souvent dissociées; un musicien actuel peut jouer indifféremment une oeuvre ancienne ou une composition personnelle. Dans la création d’images artistiques, le concepteur et le réalisateur sont forcément une seule et même personne, et quelqu’un qui copie un tableau de Gauguin ou de Van Gogh n’est pas un grand interprète, mais un faussaire. Et le peintre du dimanche préfère mettre en peinture un paysage banal(même d’après photo) plutôt qu’une œuvre ancienne ou même celle d’un de ses contemporains qui a réussi.
Il n’y a plus vraiment de culture commune partagée entre les peintres, comme il y en a dans les milieux musicaux; pas d’existence médiatique de la peinture populaire, pas de marché… la peinture populaire contemporaine ne symbolise plus rien dans l’imaginaire collectif, et est devenue inapte à créer du lien social.

Et pourtant : il y a, j'en suis persuadé, des voies qui permettraient de redonner à cet art, dont la pratique attire beaucoup de monde, un véritable rôle culturel. Mais les oeuvres doivent pouvoir signifier et être facilement diffusées à faible coût. Appuyons-nous alors sur les réalités sociologiques.
Ainsi par exemple, tout le monde, et les jeunes en particulier, aiment punaiser à leurs murs des posters assez variés et assez renouvelables, images bon marché qui cristallisent facilement un engouement ou une attention instantanée, un peu comme peuvent le faire les chansons par l’intermédiaire du disque ou du MP3. Pourquoi chaque peintre, avant de chercher à faire une exposition qui de toute façon n’attirera pas grand monde, ne chercherait-il pas à faire connaître son travail par la diffusion d’affiches, associant l’image artistique à d’autres signes, d’autres messages pouvant emblématiser un courant d’idée, un événement, un lieu, etc…?

En ce qui me concerne, je crois à cette voie et compte l’explorer assez rapidement ; comme d’aucuns le savent déjà, je vais publier cet été, aux éditions Amalthée, un conte philosophique, « SOUVENIRS D’ANTILLIA » ; ce sera pour moi l’occasion d’associer au monde magique d’Antillia une dizaine de posters construits à partir de mes travaux picturaux sur l’architecture fantastique.

Dans une société où l’imaginaire de chaque créateur pictural est de plus en plus individuel et introverti, il est absolument nécessaire de faire l’effort de réintégrer les créations mentales des artistes dans un imaginaire collectif porteur de valeurs, ces valeurs pouvant facilement être affirmées et diffusées par l’intermédiaire de posters, qui sont en quelque sorte les estampes éphémères (Ukiyoé) du monde contemporain.

samedi, juin 02, 2007

VERS UNE MULTITEMPORALITÉ


Où et quand? aquarelle de G. Chambon


Le physicien californien Itzhak Bars, qui mène des recherches de pointe sur les théories des cordes, qui font appel, pour expliquer l’univers, à une quantité plus ou moins grande de dimensions spatiales supplémentaires compactifiées, vient de faire l’hypothèse de la possibilité de deux dimensions temporelles pour décrire l’univers, l’une d’elles étant invisible parce que compactifiée. Bricolage "ad hoc", pour cacher sous le tapis les incohérences de la théorie unifiée chère aux physiciens, rappelant la cuisine des théories antiques des épicycles qui cherchaient à résoudre la marche des planètes dans un référentiel toujours géocentré ? Ou, au contraire, intuition de génie faisant pressentir une nouvelle révolution copernicienne ?
Je ne sais quel est l’avenir de cette hypothèse en matière de physique fondamentale, mais je la trouve passionnante sur le plan conceptuel. En effet, jusqu’à présent, l’intuition géométrique, qui explore depuis Pythagore et Platon la structure matérielle du monde, ne s’appliquait pas au temps, même si la théorie de la relativité d’Einstein avait commencé à en faire percevoir les fluctuations possibles; il restait en effet une sorte de continuum imperturbable et lisse pour chaque référentiel d’observation.
Il faut au moins deux dimensions pour donner une épaisseur aux choses. Une seconde dimension permet donc de donner enfin au temps une véritable épaisseur, d’en faire non plus l’arbitre universel de nos vies, mais un acteur à part entière. Qu’il ne soit plus une eau lisse avançant imperturbablement au fil de nos existences, mais une chose vivante, profonde, mystérieuse, une sorte d’océan capable de surprises et de tempêtes. Le voyage temporel, qui est un leitmotiv de la science fiction, et la réincarnation, qui en est une sorte d’équivalent dans les traditions religieuses, expriment l’envie humaine universelle de briser la prison temporelle dans laquelle chaque individu se trouve enfermé.
La découverte d’une seconde dimension temporelle permettra-t-elle d’échapper à l’inflexible loi de Saturne d’une manière nouvelle, plus imaginative et plus convaincante que celles aujourd’hui promises par les églises ou par les romanciers futurologues (dont je suis) ?
Pensons aux corrélations non causales, aux liens invisibles qui nous relient à travers le temps à d’autres êtres et d’autres cultures. Simple empathie spontanée et aléatoire ? Ou polytemporalité de l’être, dont la vie se déroule aussi ailleurs dans une seconde dimension de temps compactifiée, et qui s’exprime, de façon marginale, à travers l’imaginaire, la télépathie, ou la clairvoyance ? La mort pourrait alors être comprise comme une brisure de symétrie, l’accession à un mode d’être radicalement différent, qui permettrait au paysage multitemporel enfin déployé de devenir la seule réalité du défunt, les dimensions spatiales étant a contrario toutes compactifiées.