Thomas Shotter BOYS, Cathédrale d'Amiens, vue prise du port du Don. Lithographie des "Voyages Pittoresques et Romantiques de l'Ancienne France..." 1835-38 |
Amiens au XIXe siècle. À la jonction du quartier du Cange et du quartier St Leu, au nord de la cathédrale, là où convergeaient de multiples canaux alimentés par les bras de la Somme, se tenait un marché sur l’eau, qui constituait le point fort de l’animation de la ville, autour de la place du Don (aujourd’hui, il ne s’en tient plus qu’une fois l’an, pour le folklore, en juin). Les hortillons, ces maraîchers qui exploitent depuis deux mille ans quelques centaines d’hectares d’hortillonnages - constitués d’îles alluvionnaires de la Somme, entrecoupées de rieux (petits canaux) - venaient y vendre leurs primeurs le long du port d’amont, accostant les berges avec leurs longues barques à cornet.
C’était sans doute le site le plus caractéristique et le plus pittoresque de la cité picarde, appelée pour cela « Venise du nord ». Pas étonnant que le baron Taylor y ait dépêché quelques bons dessinateurs lorsqu’il entreprit, au milieu des années 1830, de consacrer à la Picardie trois tomes de ses fameux Voyages pittoresques et romantiques de l’ancienne France, qu’il avait débuté quinze ans plus tôt avec la Normandie, et le concours de peintres aquarellistes et lithographes éminents, comme les Anglais Richard Parkes Bonington et Samuel Prout, et les Français Eugène Isabey, Evariste Fragonard, Théodore Géricault.
Les illustrations produites pour la description d’Amiens furent réalisées à partir de 1835 par une équipe étoffée de nouveaux talents : Thomas Shotter Boys, ami et successeur de Bonington mort quelques années avant, âgé seulement de vingt-huit ans, James Duffield Harding, Alexandre Monthelier, François Bonhommé, Bachelier, Adrien Dauzats, Eugène Ciceri, Eugène Balan, etc.
Une lithographie de T. S. Boys (ci-dessus en tête d’article), montre le port d’amont, où l’on découvre la cathédrale et la place du Don, vues de la rue de la Queue de vache, aujourd’hui quai Belu. C’est une belle planche, assez fidèle aux lieux, comme on le voit en se reportant au plan cadastral de 1851 (seul le pont du Don qui enjambait les petits canaux, sur la droite, n’est pas représenté sur la lithographie).
C’était sans doute le site le plus caractéristique et le plus pittoresque de la cité picarde, appelée pour cela « Venise du nord ». Pas étonnant que le baron Taylor y ait dépêché quelques bons dessinateurs lorsqu’il entreprit, au milieu des années 1830, de consacrer à la Picardie trois tomes de ses fameux Voyages pittoresques et romantiques de l’ancienne France, qu’il avait débuté quinze ans plus tôt avec la Normandie, et le concours de peintres aquarellistes et lithographes éminents, comme les Anglais Richard Parkes Bonington et Samuel Prout, et les Français Eugène Isabey, Evariste Fragonard, Théodore Géricault.
Les illustrations produites pour la description d’Amiens furent réalisées à partir de 1835 par une équipe étoffée de nouveaux talents : Thomas Shotter Boys, ami et successeur de Bonington mort quelques années avant, âgé seulement de vingt-huit ans, James Duffield Harding, Alexandre Monthelier, François Bonhommé, Bachelier, Adrien Dauzats, Eugène Ciceri, Eugène Balan, etc.
Une lithographie de T. S. Boys (ci-dessus en tête d’article), montre le port d’amont, où l’on découvre la cathédrale et la place du Don, vues de la rue de la Queue de vache, aujourd’hui quai Belu. C’est une belle planche, assez fidèle aux lieux, comme on le voit en se reportant au plan cadastral de 1851 (seul le pont du Don qui enjambait les petits canaux, sur la droite, n’est pas représenté sur la lithographie).
Point de vue de la lithographie reporté sur le cadastre de 1851, et comparaison avec photo aérienne actuelle |
Vue actuelle |
Mais une analyse attentive montre que l’auteur, sans doute trop occupé par d’autres travaux, n’a pas dessiné d’après nature, mais d’après une aquarelle de son collègue rouennais Eugène Balan, celle-là réellement faite sur le motif (ci-dessous).
Eugène BALAN, Amiens, port d’Amont, vers 1830-1835, aquarelle sur papier 27,2 x 40,7 cm, AmiensMusée de Picardie |
Balan avait aussi fait une seconde aquarelle représentant le port d’aval (ces deux aquarelles sont conservées au musée de Picardie à Amiens), et sans doute frustré de ne pas voir son nom figurer sous l’illustration des Voyages pittoresques, il publia indépendamment un recueil de cinq estampes sur Amiens, comportant les gravures réalisées à son compte à partir de ses aquarelles). T. S. Boys n’est pas le seul à avoir plagié son camarade : il existe aussi une aquarelle d’Eugène Ciceri représentant le port d’aval, totalement copiée sur celle de Balan ; mais elle n’a toutefois pas donné lieu à une lithographie dans les Voyages pittoresques.
E. BALAN, Amiens, port d’Amont, vers 1830-1835, aquarelle sur papier - Eugène CICERI, aquarelle du port d'Aval copiée sur celle de Balan |
Revenons au port d’amont, et à la comparaison des représentations de Balan et Boys : on voit par exemple que les barques des hortillons, chargées de pastèques ou de melons sur l’aquarelle de Balan, sont remplacées par des tonneaux sur celle de Boys : ce dernier ne devait pas connaître la nature spécifique du marché des hortillons. Quelques petits détails de façades sont aussi plus fidèles chez Balan ; on peut le vérifier, sur une photo de 1880 qui montre ce quartier (ci-dessous) ; la maison à l’extrême droite de la photo, que l’on retrouve au second plan chez Balan et Boys, est beaucoup plus fidèle chez Balan.
Photo de 1880 montrant la cathédrale d'Amiens vue du port du Don |
Sur le dessin à l’encre « Cathédrale depuis le port du Don » de l’un des frères Duthoit, exécuté sur place un quart de siècle après les précédents, on trouve confirmation du dessin d’Eugène Balan.
Cathédrale d'Amiens vue du Don, dessin à l'encre du à l'un des frères DUTHOIT, vers 1860 |
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Une peinture à l’huile de petit format intitulée « vue de la ville d’Amiens avec la cathédrale et les marchés sur l’eau » (ci-dessous), est passée en salle des ventes il y a peu.
Vue de la ville d’Amiens avec la cathédrale et les marchés sur l’eau, huile sur toile 38cm x 27cm, ancienne attribution à Charles Euphrasie KUWASSEG |
Elle est monogrammée K. en bas à droite, et a été attribuée, au revers de la toile, à Charles Kuwasseg (1838 – 1904), peintre de paysages romantiques et pittoresques, aujourd’hui un peu oublié mais connu et très apprécié à la fin du XIXe siècle. Au vu de la lumière pré-impressionniste du tableau, et de son ciel qui ressemble à ceux d’Eugène Boudin, on aurait pu croire qu’il s’agissait d’une toile faite sur le vif. Que nenni. Quand on l’examine bien, on découvre qu’il s’agit d’une copie fidèle de la lithographie de T. S. Boys. À cela près que le peintre a procédé à quelques simplifications dans l’animation des personnages et des barques, et qu’il a modifié l’esprit pittoresque de la lithographie par la vigueur de son pinceau, notamment pour les personnages aux formes à peine esquissées, et par la belle conception lumineuse et chromatique.
Les contrastes se posent de façon plus crédible que sur l’estampe, le détail anecdotique cède devant l’unité des formes et le rythme des toitures, des cheminées, et des lucarnes. La masse imposante de la cathédrale s’embue dans la perspective atmosphérique, et le ciel, presque absent sur la lithographie, retrouve ici la magie évanescente des nuages qui défilent et règlent à chaque instant la luminosité. Ce ciel, dont la lumière semble venir de gauche alors que les bâtiments s’éclairent par la droite, est d’ailleurs plus celui des côtes normandes que de la plaine picarde. À croire que notre peintre copiste les a assidûment fréquentées. S’il s’agit bien de Charles Kuwasseg, c’est le cas. Il a aussi voyagé sur les mers comme marin, et on lui doit beaucoup de paysages de ports et de rivages (il a peint également la montagne, dans le sillage de son père, originaire d’Autriche). Mais pourquoi a-t-il copié cette lithographie, sans être allé sur le terrain (les quelques erreurs d’interprétation des façades relevées sur la planche de T. S. Boys sont ici reprises et d’autres s’y ajoutent), alors que la sensibilité qui s’exprime sur la toile montre indéniablement un intérêt qui se porte davantage sur la lumière que sur le cadre pittoresque… Et quand l’a-t-il copié – il était à peine né quand la lithographie a été publiée ? Et pourquoi ce mystérieux monogramme, alors que Kuwasseg signait toutes ses peintures « C. Kuwasseg » ou « C. Kuwasseg fils », pour se distinguer de son père Charles-Joseph, également peintre de paysages ?
On peut supposer qu’il n’ait pas signé justement parce que la composition n’était pas de lui. Mais lorsqu’on compare notre petite toile avec ses autres œuvres sur des thèmes analogues, on voit que la touche en est plus moderne, avec moins d’insistance sur le détail architectural, et un fini moins « léché ».
On l’aura compris, je ne suis pas totalement convaincu de l’attribution à Kuwasseg (cette attribution reste néanmoins l'hypothèse la plus vraisemblable, Kuwasseg ayant eu un pinceau très vigoureux dans ses très jeunes années, entre 1855 et 1860). Je vais formuler une autre hypothèse tout intuitive, qui me paraît plausible, bien que très hasardeuse. - Mise à jour texte 08/2013.
Revenons aux années 1840, celles qui suivent la publication des tomes des Voyages pittoresques de Taylor, De Cailleux, et Nodier, consacrés à la Picardie. Parmi les peintres qui y ont participé, et dont la plupart ont souscrit un abonnement à la publication de ces ouvrages dont la diffusion était relativement limitée (grand format in-folio), il y a le peintre romantique Eugène Isabey, ami du baron Taylor, mais aussi de Delacroix. Il est peintre d’histoire, paysagiste de marines, spécialisé notamment dans les scènes de naufrages. Sa réputation est grande et son atelier parisien attire beaucoup d’élèves. Kuwasseg y a d’ailleurs fait un passage (autour de 1860 ?). Mais il y avait eu aussi, dix ans plus tôt, un certain Eugène Boudin.
Le célèbre peintre, dont on peut voir actuellement la magnifique exposition au Musée Jacquemard-André à Paris, était né à Honfleur et vivait dans sa jeunesse au Havre, où, en tant que papetier, il avait rencontré les peintres qui fréquentaient la Normandie, comme Couture et Troyon, mais aussi Isabey ou Jean-François Millet.
Boudin, donc, qui a vingt ans en 1844, se forme à la peinture en suivant les cours de l’école municipale de dessin de la ville, en exécutant des croquis et de petites peintures en extérieur, et en copiant - à partir de 1847, les tableaux de maîtres anciens. Un collectionneur du Havre, le père Taylor (qui n’a rien à voir avec le baron homonyme), lui en a commandé beaucoup. Cependant notre jeune peintre s’est trouvé subitement désargenté (après qu’il ait dû vendre précipitamment ses parts de la papeterie en 1846, et verser l’argent pour échapper à la conscription), et c’est seulement grâce à une bourse obtenue de la Ville du Havre, qu’il put intégrer en 1851 l’atelier parisien d’Isabey.
Les peintres Couture et Troyon ont fortement encouragé le Conseil Municipal du Havre à accorder une subvention au jeune artiste prometteur. Mais c’est surtout le soutien du romancier et journaliste Alphonse Karr, ancien rédacteur en chef du Figaro, qui a été décisif. Ayant une maison à Sainte-Adresse, en périphérie du Havre, il avait rencontré Eugène Boudin et très vite sympathisé avec ce jeune homme dont il admirait les croquis, comme plus tard Baudelaire. La bourse d’études fut de 1200 F par an, pendant trois ans, de 1851 à 1853.
Boudin intégra donc l’atelier d’Isabey et s’inscrivit aussi comme élève-copiste au Louvre. On sait qu’il copia notamment les paysagistes néerlandais Ruysdael et Potter. Ces trois années à Paris furent en pointillé, car il revenait fréquemment peindre sur les côtes normandes. Mais il exécuta néanmoins à partir de 1847 et durant l’épisode parisien, de nombreuses copies, comme le révèlent les carnets de comptes où il notait les commandes et les prix qu’il en demandait. La plupart de ces œuvres ont aujourd’hui disparu, soit qu’il les ait détruites, pensant qu’elles ne correspondaient pas à la vérité de son art, soit qu’on en ait perdu la trace, car elles n’étaient pas signées et se sont fondues dans la masse des tableaux anonymes non repérés*.
Il se pourrait donc, selon moi, qu’Eugène Boudin soit le copiste de la lithographie du port du Don de T. S. Boys. Il l’aurait transcrite en peinture à l’atelier d’Isabey, qui possédait un exemplaire des voyages pittoresques, et qui l’encouragea certainement à travailler des sujets romantiques, un peu en décalage avec ses chères côtes normandes. Le format et la facture de l’œuvre (touches de pinceau, palette, gestion des contrastes), en particulier le ciel, ressemblent en effet beaucoup aux paysages qu’on connaît d’Eugène Boudin faits à partir de 1856 : le ciel du « Port du Don » est comparable à ceux de la « Fête dans le port d’Honfleur » (1858), de « Bordeaux, bateaux sur la Garonne » (1876), et du « Bassin des Hollandais à Dunkerque » (1889). On retrouvera aussi une scénographie assez proche – peut-être une réminiscence du port du Don? – lorsqu’il peignit en 1871 un « Canal à Bruxelles ».
Les contrastes se posent de façon plus crédible que sur l’estampe, le détail anecdotique cède devant l’unité des formes et le rythme des toitures, des cheminées, et des lucarnes. La masse imposante de la cathédrale s’embue dans la perspective atmosphérique, et le ciel, presque absent sur la lithographie, retrouve ici la magie évanescente des nuages qui défilent et règlent à chaque instant la luminosité. Ce ciel, dont la lumière semble venir de gauche alors que les bâtiments s’éclairent par la droite, est d’ailleurs plus celui des côtes normandes que de la plaine picarde. À croire que notre peintre copiste les a assidûment fréquentées. S’il s’agit bien de Charles Kuwasseg, c’est le cas. Il a aussi voyagé sur les mers comme marin, et on lui doit beaucoup de paysages de ports et de rivages (il a peint également la montagne, dans le sillage de son père, originaire d’Autriche). Mais pourquoi a-t-il copié cette lithographie, sans être allé sur le terrain (les quelques erreurs d’interprétation des façades relevées sur la planche de T. S. Boys sont ici reprises et d’autres s’y ajoutent), alors que la sensibilité qui s’exprime sur la toile montre indéniablement un intérêt qui se porte davantage sur la lumière que sur le cadre pittoresque… Et quand l’a-t-il copié – il était à peine né quand la lithographie a été publiée ? Et pourquoi ce mystérieux monogramme, alors que Kuwasseg signait toutes ses peintures « C. Kuwasseg » ou « C. Kuwasseg fils », pour se distinguer de son père Charles-Joseph, également peintre de paysages ?
On peut supposer qu’il n’ait pas signé justement parce que la composition n’était pas de lui. Mais lorsqu’on compare notre petite toile avec ses autres œuvres sur des thèmes analogues, on voit que la touche en est plus moderne, avec moins d’insistance sur le détail architectural, et un fini moins « léché ».
On l’aura compris, je ne suis pas totalement convaincu de l’attribution à Kuwasseg (cette attribution reste néanmoins l'hypothèse la plus vraisemblable, Kuwasseg ayant eu un pinceau très vigoureux dans ses très jeunes années, entre 1855 et 1860). Je vais formuler une autre hypothèse tout intuitive, qui me paraît plausible, bien que très hasardeuse. - Mise à jour texte 08/2013.
Revenons aux années 1840, celles qui suivent la publication des tomes des Voyages pittoresques de Taylor, De Cailleux, et Nodier, consacrés à la Picardie. Parmi les peintres qui y ont participé, et dont la plupart ont souscrit un abonnement à la publication de ces ouvrages dont la diffusion était relativement limitée (grand format in-folio), il y a le peintre romantique Eugène Isabey, ami du baron Taylor, mais aussi de Delacroix. Il est peintre d’histoire, paysagiste de marines, spécialisé notamment dans les scènes de naufrages. Sa réputation est grande et son atelier parisien attire beaucoup d’élèves. Kuwasseg y a d’ailleurs fait un passage (autour de 1860 ?). Mais il y avait eu aussi, dix ans plus tôt, un certain Eugène Boudin.
Le célèbre peintre, dont on peut voir actuellement la magnifique exposition au Musée Jacquemard-André à Paris, était né à Honfleur et vivait dans sa jeunesse au Havre, où, en tant que papetier, il avait rencontré les peintres qui fréquentaient la Normandie, comme Couture et Troyon, mais aussi Isabey ou Jean-François Millet.
Boudin, donc, qui a vingt ans en 1844, se forme à la peinture en suivant les cours de l’école municipale de dessin de la ville, en exécutant des croquis et de petites peintures en extérieur, et en copiant - à partir de 1847, les tableaux de maîtres anciens. Un collectionneur du Havre, le père Taylor (qui n’a rien à voir avec le baron homonyme), lui en a commandé beaucoup. Cependant notre jeune peintre s’est trouvé subitement désargenté (après qu’il ait dû vendre précipitamment ses parts de la papeterie en 1846, et verser l’argent pour échapper à la conscription), et c’est seulement grâce à une bourse obtenue de la Ville du Havre, qu’il put intégrer en 1851 l’atelier parisien d’Isabey.
Les peintres Couture et Troyon ont fortement encouragé le Conseil Municipal du Havre à accorder une subvention au jeune artiste prometteur. Mais c’est surtout le soutien du romancier et journaliste Alphonse Karr, ancien rédacteur en chef du Figaro, qui a été décisif. Ayant une maison à Sainte-Adresse, en périphérie du Havre, il avait rencontré Eugène Boudin et très vite sympathisé avec ce jeune homme dont il admirait les croquis, comme plus tard Baudelaire. La bourse d’études fut de 1200 F par an, pendant trois ans, de 1851 à 1853.
Boudin intégra donc l’atelier d’Isabey et s’inscrivit aussi comme élève-copiste au Louvre. On sait qu’il copia notamment les paysagistes néerlandais Ruysdael et Potter. Ces trois années à Paris furent en pointillé, car il revenait fréquemment peindre sur les côtes normandes. Mais il exécuta néanmoins à partir de 1847 et durant l’épisode parisien, de nombreuses copies, comme le révèlent les carnets de comptes où il notait les commandes et les prix qu’il en demandait. La plupart de ces œuvres ont aujourd’hui disparu, soit qu’il les ait détruites, pensant qu’elles ne correspondaient pas à la vérité de son art, soit qu’on en ait perdu la trace, car elles n’étaient pas signées et se sont fondues dans la masse des tableaux anonymes non repérés*.
Il se pourrait donc, selon moi, qu’Eugène Boudin soit le copiste de la lithographie du port du Don de T. S. Boys. Il l’aurait transcrite en peinture à l’atelier d’Isabey, qui possédait un exemplaire des voyages pittoresques, et qui l’encouragea certainement à travailler des sujets romantiques, un peu en décalage avec ses chères côtes normandes. Le format et la facture de l’œuvre (touches de pinceau, palette, gestion des contrastes), en particulier le ciel, ressemblent en effet beaucoup aux paysages qu’on connaît d’Eugène Boudin faits à partir de 1856 : le ciel du « Port du Don » est comparable à ceux de la « Fête dans le port d’Honfleur » (1858), de « Bordeaux, bateaux sur la Garonne » (1876), et du « Bassin des Hollandais à Dunkerque » (1889). On retrouvera aussi une scénographie assez proche – peut-être une réminiscence du port du Don? – lorsqu’il peignit en 1871 un « Canal à Bruxelles ».
Eugène Boudin : "Fêtes dans le port d'Honfleur"; "Bordeaux, bateaux sur la Garonne"; "Bassin des Hollandais à Dunkerque"; "Canal à Bruxelles" |
Mais si cette hypothèse se voyait confirmée par une analyse plus poussée de la facture picturale, comment expliquerait-on alors le mystérieux K. apposé en bas et à droite de la toile, et qui a priori plaide plutôt pour une attribution à Kuwasseg ? Et bien le K est peut-être tout simplement apocryphe, ajouté lors de la première attribution à Kuwasseg. Il pourrait aussi s’agir de l’initiale d’Alphonse Karr, que Boudin aurait remercié de son intercession auprès du Conseil Municipal du Havre en lui offrant ce petit tableau. La date d’exécution serait alors 1851, juste après l’arrivée du peintre dans l’atelier d’Eugène Isabey ; peut-être serait-ce là son premier exercice pictural imposé par le maître romantique.
Mise à jour juin 2020 : une autre peinture (ci-dessous), copie de la lithographie de T. S. Boys, passe ce mois en salle des ventes. Elle n'est pas de très belle facture, mais elle a sensiblement le même format (29 x 36 cm) que celle attribuée à Kuwasseg, et porte aussi un monogramme en bas à gauche (J-C). Cela confirme qu'il s'agit probablement d'un exercice imposé dans son atelier par E. Isabey, et que les élèves peintres devaient signer par leur monogramme. L'attribution à Charles Euphrasie Kuwasseg du tableau étudié plus haut paraît donc la meilleure hypothèse.
* " On peut déplorer qu'il reste si peu de copies faites par Boudin : les a-t-il détruites, ou, plus vraisemblablement, ces oeuvre non signées, sont-elles conservées, mais sans l'attribution exacte à leur auteur véritable ? .../. d'après Anne-Marie Bergeret-Gourbin, Conservateur du Musée Eugène Boudin in catalogue de l'exposition EUGENE BOUDIN Honfleur Greniers à sel Musée Eugène Boudin 11avril~12juillet 1992 Coédition et diffusion par l'association "Eugène Boudin- Honfleur 92 " et les éditions Anthèse - 2e trimestre 1992 » cité sur
Mise à jour juin 2020 : une autre peinture (ci-dessous), copie de la lithographie de T. S. Boys, passe ce mois en salle des ventes. Elle n'est pas de très belle facture, mais elle a sensiblement le même format (29 x 36 cm) que celle attribuée à Kuwasseg, et porte aussi un monogramme en bas à gauche (J-C). Cela confirme qu'il s'agit probablement d'un exercice imposé dans son atelier par E. Isabey, et que les élèves peintres devaient signer par leur monogramme. L'attribution à Charles Euphrasie Kuwasseg du tableau étudié plus haut paraît donc la meilleure hypothèse.
* " On peut déplorer qu'il reste si peu de copies faites par Boudin : les a-t-il détruites, ou, plus vraisemblablement, ces oeuvre non signées, sont-elles conservées, mais sans l'attribution exacte à leur auteur véritable ? .../. d'après Anne-Marie Bergeret-Gourbin, Conservateur du Musée Eugène Boudin in catalogue de l'exposition EUGENE BOUDIN Honfleur Greniers à sel Musée Eugène Boudin 11avril~12juillet 1992 Coédition et diffusion par l'association "Eugène Boudin- Honfleur 92 " et les éditions Anthèse - 2e trimestre 1992 » cité sur
Vous avez écrit "... et porte aussi un monogramme en bas à gauche (J-C)"
RépondreSupprimerN'y aurait-il pas un W avant le J C ?
Réponse : La photo du tableau a les bords rognés... Je ne sais donc pas s'il y a un W. avant ! (à qui pensez-vous ?)
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