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samedi, septembre 18, 2010

ART CONTEMPORAIN ET PATRIMOINE

Exposition Murakami au château de Versailles


Les mises en scène d’une confrontation entre patrimoine et Art Actuel sont devenues depuis quelques années une sorte d’étendard  du petit monde qui détient les commandes du marché de l’art contemporain et de sa promotion. Les collections de Pinault au Palazzo Grassi et à la Pointe de la Douane à Venise, et bien sûr surtout les grandes expositions/confrontations françaises au Louvre (exposition Jan Fabre,  exposition Contrepoint), et à Versailles : Koons, Veilhan, et actuellement Takashi Murakami.
Ces confrontations choquent une partie de la population, suscitent le débat, et par là même assurent une bonne médiatisation à l'événement. Pourtant, loin d’être irrévérencieuses à l’égard de la culture historique comme pouvaient l’être l’art des avant-gardes au XXe siècle, ses grandes manifestations ont au contraire une volonté pacificatrice, prenant soin de ne pas dégrader les lieux qu’elles investissent, et cherchant, partout où c’est possible, une sorte de clin d’œil, sinon une continuité avec l’art ancien.

Mais alors, pourquoi tant de remous ?

Pour tenter d’y voir plus clair, on peut se poser deux questions simples :

1/ Que recherchent ceux qui organisent ces événements ?

2/ Que critiquent ceux qui s’y opposent ?

À la première question, il y a une réponse convenue :
  • Ces expositions permettraient de redonner un dynamisme nouveau aux monuments historiques assoupis dans leur imagerie traditionnelle, et en même temps sensibiliseraient le grand public aux figures de proue de l’art contemporain international.
Il y en a une autre, un peu moins avouable :
  • Ce serait un bon moyen de faire monter la cote des artistes exposés, et de leur conférer, par une sorte d’osmose, d'imprégnation du lieu, la sacralité qui leur fait généralement défaut.

À la seconde question, il y a aussi une réponse apparente et une réponse cachée :
  • La première attribue l’indignation provoquée par les confrontations à la pollution esthétique que les œuvres contemporaines feraient subir au patrimoine historique, et au détournement des visiteurs qui, au lieu de s’intéresser aux monuments, aux oeuvres classiques, et à leur signification, finiraient par ne plus voir en eux qu’un « dispositif » disponible pour toutes sortes de spectacles et divertissements : une forme de « disneylandisation »  de notre patrimoine artistique.
  • La réponse cachée tient à la sacralité, consciente ou inconsciente, qui émane de l’art traditionnel, et à l’outrage, ou plutôt au déni, que lui fait dès lors subir la promiscuité avec un art de toute évidence dépourvu de transcendance.

Et à mon sens, le problème est bien là : dans cette absence de transcendance de l’art contemporain, absence qui dérange finalement tout le monde, tant ses promoteurs que ses détracteurs. Si ces derniers en effet l’accusent ouvertement de n’être qu’un « Financial Art », les premiers veulent aussi, par la confrontation recherchée avec l’ancien, et même s’ils s’en défendent, réinvestir l’art contemporain d’un sens sacré, lui redorer le blason, lui communiquer magiquement la transcendance qu’il n’a pas. Car nul besoin d’être expert ou critique d’art pour affirmer qu’il n’y a aucune transcendance dans les kitscheries de Jeff Koons, et pas plus dans les figurines mangaesques de Murakami.
C’est que l’art contemporain ne croit plus en la transcendance, et donc ne la recherche plus. Les grands artistes d’aujourd’hui s’ingénient plutôt à parodier, disséquer, exhiber, tous les miasmes, toutes les écumes, tous les borborygmes de la société moderne occidentale. Ils se veulent révélateurs et dénonciateurs, et leur ultime credo est la capacité à déranger.

Cela s’explique très bien historiquement : Dada, Duchamp, le Surréalisme, l’Art Brut, l’Abstraction, l’Art Conceptuel; tous ces mouvements alimentant au XXe siècle la mythologie grandissante des avant-gardes artistiques… Mais peut-être faut-il, parmi leurs représentants, séparer le bon grain de l’ivraie : ainsi par exemple chez les surréalistes, où le sens de la poésie et du mystère, la recherche de l’expression subconsciente, confèrent à beaucoup de leurs œuvres une profondeur et une véritable transcendance, absente la plupart du temps dans les autres courants.

Mais qu’est au juste cette transcendance prétendue de l’art ? Et pourquoi les arts traditionnels auraient-ils une transcendance que n’auraient pas les œuvres contemporaines ? Faut-il, pour le comprendre, appeler la philosophie à la rescousse de la critique d’art ?
Non, car les choses sont finalement assez simples, et peuvent se résumer en trois mots : mystère, poésie, et beauté.
  • Le mystère, parce qu’il y a dans la transcendance de l’art quelque chose qui résistera toujours la compréhension rationnelle ; et les artistes contemporains ont cru pouvoir réduire le mystère à une sorte de rébus conceptuel.
  • La poésie, parce que la transcendance est liée à ce qui, dans la représentation du monde, révèle la part rêvée du monde ; celle qui met un peu d’ailleurs dans l’ici et maintenant ; mais les artistes contemporains ne rêvent plus aujourd’hui que d’ici et de maintenant.
  • La beauté, parce qu’elle est le pivot central de tous les arts, et qu’elle naît de l’humilité et de la ferveur artisanale des créateurs ; mais les artistes contemporains la relèguent au rayon des vieilleries, et préfèrent à la ferveur artisanale le bidouillage technico-industriel des installations.

Mais ne soyons pas pessimistes et regardons le bon côté des choses : de ces grandes expositions, il restera simplement des photos, parfois assez belles, et dont le caractère insolite – et, pourquoi pas, poétique –  pourra faire naître la rêverie et le mystère au cœur des générations futures.

Le Split-Rocker de Jeff Koons à Versailles


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