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vendredi, juillet 14, 2017

Vision infernale à Port Lligat


Gilles Chambon, Vision infernale à Port Lligat, huile sur toile 110 x 145 cm, 2017
Les Grecs anciens pensaient que l’accès aux enfers se situait quelque part au-delà de l’Achéron, donnant accès au Styx; cette rivière formait la limite avec le monde des ombres, et les âmes défuntes la traversaient dans la barque du passeur Charon. Mais la localisation géographique des entrées du séjour des morts bougeait selon les légendes ; personne, et pour cause, n’en connaissait l’endroit précis. 
Y a-t-il d’ailleurs un endroit précis pour accéder aux enfers ? Après tout, si l’on croit à l’éternité de l’âme, celle-ci n’est-elle pas de toute façon transportée dans l’Au-delà depuis le lieu du trépas, qui peut advenir n’importe où ?

En fin de compte, tout point de la surface du globe est potentiellement un accès vers le monde infernal.
Un peu comme si tout paysage était une sorte de miroir magique capable, dans certaines circonstances, de ne plus refléter la simple réalité, mais de s’ouvrir à un autre monde latent, visible seulement par les mourants... Et par les poètes. Cocteau dans son Orphée, faisait accéder les morts à ce monde caché en traversant un miroir. Et plus récemment, dans Matrix, les frères Wachowski ont eu recours à un processus similaire pour faire sortir leurs héros de la réalité virtuelle de la Matrice par des points aléatoires ouverts dans l'espace-temps matriciel.

Mais je crois que certains paysages sont plus propices que d’autres à réfléchir la part mythologique du monde. D’eux, s’exsude une profonde altérité ; à chaque regard sur de ces paysages mystérieux, on a l’impression de voir bouger des formes étranges au creux des ombres, passer des fantômes sur les aspérités des rochers, remuer des monstres dans le clapot des vagues,  ou se battre des titans dans le cache-cache du soleil et des nuages.

Dali a démontré, par ses peintures, que Port Lligat, qu'il peuplait volontiers d'anges, possédait ce caractère magique. Comme une sorte d’intermonde, une balise immobile posée entre le paradis et l’enfer. La beauté des éléments y est d'ailleurs parfois si hallucinante, que de vraies hallucinations ont tendance s’y produire.

Victime de l'une d'entre elles, j’ai donc imaginé que, la brume du réel se dissipant peu à peu sur Port Lligat, la petite crique des pêcheurs finissait par laisser entrevoir les longs rivages infernaux de l’antique Styx. 

Charon passe une âme dans sa barque, tandis qu’un curieux équipage, navigant sur l’homme-arbre de Jérôme Bosch, fait une escale avant de retourner au cœur de la fournaise infernale. Au premier plan, un cortège de damnés vient adorer la terrible statue de Perséphone, mi-morte mi-vivante, qui règne six mois de l’année avec Hadès sur les contrées obscures, pour revenir à chaque printemps refleurir les rivages terrestres. 

Il s’agit bien sûr, dans cette peinture, d’une composition synchronistique :

-    Le fond de paysage est repris de Dali, (« Paysage de Port Lligat », 1950, 58,5 x 79 cm, The Salvador Dali Museum,  St Petersbourg)

-    Charon et sa barque, de Joachim Patinir (détail de « Charon traversant le Styx », 1520-24, 64 x103 cm, Prado, Madrid),

-    L’homme-arbre, de Jérôme Bosch (détail de «L'enfer», panneau droit du Triptyque du Jardin des délices, 1494-1505, 220 x 97 cm, Prado, Madrid),

-    Le grand bouc et le cortège, est interprété de Francisco Goya (« Le Sabbat des sorcières », et « La procession de Saint Isidore», 140 x 438 cm chacun, 1820-23, Prado, Madrid),

-    Enfin la statue de Perséphone est dessinée d’après une toile de Picasso («Baigneuse», 1908-09, 130 x 97 cm, MoMA, New-York).

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