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Rodolphe Defontaine (1878-1962), Retour de pêche à Douarnenez, vers 1920, huile sur panneau, collection privée |
On sait que le Romantisme a redécouvert, dans la première moitié du XIXe, une France profonde jusque-là ignorée, voire méprisée par les élites : celle des provinces, de leurs histoires oubliées, de leurs monuments médiévaux, de leurs paysages spécifiques, de leurs modes de vie et de leur traditions. Les voyages pittoresques de l’ancienne France de Taylor et Nodier ont beaucoup contribué à élaborer et diffuser ce regard à la fois nostalgique, rêveur, et attentif aux spécificités locales.
Cette glorification de la beauté mémorielle des provinces fait une large place au paysage rural, souvent représenté dans les lithographies avec un pathos inspiré par les peintures romantiques d’un Caspar Friedrich d'un Carl Joseph Vernet, ou d’un Eugène Isabey, surtout lorsqu’il s’agit des régions montagneuses ou des contrées maritimes. Ces dernières sont aussi explorées dans « La France Maritime » d’Amédée Gréhan (1837-1842). La Normandie et Bretagne sont particulièrement intéressantes dans leur représentation picturale : on y voit converger l’attrait pour le paysage maritime, et l’intérêt nouveau que l’on pourrait qualifier d’ethnographique porté sur la population des bourgs et villages de pêcheurs.
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Rivages de Normandie, Lithographie extraite de "La France Maritime" |
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Eugène Isabey, Tempête et naufrage, huile sur toile |
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Joseph Vernet, Port au clair de lune, St Louis Art Museum, Missouri |
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William Turner, Pêcheurs en mer, 1796, Tate Gallery, Londres |
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Caspar Friedrich, Les trois états de l'homme, 1835, Musée de Beaux-Arts de Leipzig |
Le paysage des rivages maritimes, dont la tradition principale vient des peintres de marines du XVIIe siècle aux Pays-bas, se prête parfaitement aux envolées romantiques faisant ressortir les aspects « sublimes » de la nature : contraste et réverbération des lumières, ciels chargés de nuages menaçants, effets de tempête, de couchés de soleil, ou de clairs de lune ; mais aussi rochers décharnés battus par les vagues, grèves désertes et désolées à marée base, falaises vertigineuses, etc…
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Petrus van Schendel, Naufrage, vers 1840, Breda's Museum |
Dans ces décors grandioses, l’attrait pour l’activité humaine vient parfois magnifier l’héroïsme - et c’est en particulier tous ces tableaux de naufrages – ou parfois, au contraire, endiguer la violence potentielle des éléments naturels, en montrant ce petit peuple des pêcheurs, aux conditions de vie certes rudes, mais qui semblent avoir réussi à apprivoiser la sauvagerie des éléments.
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Eugène Lepoittevin, La grève de Port-en-Bessin. Huile sur toile, 1832, musée de l'île Tatihou |
Le retour des pêcheurs est un thème pictural de prédilection, qui traverse les époques, parce qu’il symbolise le cœur de cette activité maritime traditionnelle ancrée dans un paysage spécifique, et parce qu’il est le point de rencontre entre ces héros ordinaires qui bravent chaque jour la houle imprévisible, assujettis au rythme des marées, et ces petites communautés villageoises littorales dont toute la vie est réglée par la pêche. Au tout début du XVIIe siècle, quand le genre picturale de la "Marine" ne s'est pas encore autonomisé, l'univers des pêcheurs apparaît cependant dans l'illustration de l'épisode évangélique du prêche sur le lac de Tibériade, ou comme "pêche miraculeuse", en arrière plan d'une nature morte de poissons:
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Abraham Willaerts, Jésus prêchant sur la rive du lac de Tibériade, première moitié du XVIIe s. |
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Marcus Ormea et Cornelis Claesz. van Wieringen, Pêche miraculeuse, vers 1625-30 |
Comme on le voit sur les quelques peintures que je propose ci-après à titre d’exemple, la représentation du « retour des pêcheurs » s’adapte à tous les styles, du « Classicisme topographique » le l’âge d’or néerlandais au fauvisme, en passant par le romantisme, le naturalisme, et l’impressionnisme. (On peut aussi suivre cette évolution à travers les représentations de la plage et du port de Scheveningen, près de La Haye, où sont passés beaucoup de grands peintres, dont Van Gogh ; voir
ici et
là)
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Hendrik Cornelisz. Vroom, La plage de Scheveningen, 1623, Gallery Rob Kattenburg, Bergen |
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Jean-Louis Demarne (attribué), Scène de plage avec pêcheurs, vers 1800, musée de l'île Tatihou |
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Alexandre Thomas Francia, Retour de pêche, avant 1850
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James Clark Hook, Clovelly, retour du pêcheur, 1856, Harris & Art Gallery |
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Vincenot, Retour de pêche, huile sur bois, seconde moitié du XIXe siècle, collection privée |
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Eugène Boudin, Femmes de pêcheurs sur la plage, étude |
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Eugène Boudin, Berk, pêcheurs à marée basse |
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Claude Monet, Bateaux de pêche, 1883, Art Museum, Denver |
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Claude Monet, Halage d'un bateau à Honfleur, 1864, Memorial Gallery, University of Rochester, New York |
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Vincent Van Gogh, La plage de Scheveningen par gros temps, 1882, Van Gogh Museum, Amsterdam |
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Karl Daubigny,_Le retour des pêcheurs sur la plage de Villerville, 1882, Galerie Ary Jane |
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Fernand Marie Eugène Le Gout-Gérard (1856-1924), Retour de pêche, vente Trinité-sur-Mer, juillet 2013 |
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Henri Moret (1856-1913), L'attente du retour des pêcheurs, vers 1894, Musée du Petit palais, Genève |
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Alfred Guillou (1844-1926), Le retour de pêcheurs, 32 x 45 cm, Galerie Doyen, Vannes |
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André Derain, Bateaux de pêche à Collioure, 1905, MoMA, New York |