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Vallée du Rhin à Bacharach, lithographie de Gustav Kraus, Münich, vers 1835 |
Parmi les paysages classés au
patrimoine culturel mondial par l’UNESCO, figure
la vallée du Haut-Rhin Moyen, en Allemagne, entre Bingen et Coblence.
Le relief naturel escarpé, associé à l’attractivité de ce grand axe de
communication, ont produit au fil de l’histoire un paysage exceptionnel :
méandres contournant les collines boisées, vignes en terrasses, villes
portuaires, châteaux médiévaux perchés sur leurs promontoires et scandant le
cours du fleuve…. Assurément des points de vue incroyables, à faire vibrer
d’émoi les âmes romantiques.
Dès l’aube de la Renaissance, les peintres
miniaturistes, de plus en plus friands de paysages lointains dans leurs compositions
religieuses ou mythologiques, s’inspirent des lieux naturels les plus
remarquables qu’ils ont visités (ainsi par exemple le Mont St Michel dans une
des miniatures des Très Riches Heures du duc de Berry, due aux frères
Limbourg). Jan van Eyck est le premier chez qui l’ont peut déceler une
référence aux paysages de la vallée du Rhin ; d’abord sur une miniature
qui lui est attribuée, aujourd’hui détruite : Saint Julien et son
épouse transportant le Christ sur un estuaire, miniature détruite des Heures de
Turin-Milan “main G” - 1422-1424 ; et
sur une autre miniature de la même époque, qui lui est aussi attribuée :
le “Baptême du Christ”, folio 93v des Très Belles Heures de
Notre-Dame, entre 1422 et 1424.
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Saint Julien et son
épouse transportant le Christ sur un estuaire, miniature détruite des Heures de
Turin-Milan, détail à droite |
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“Baptême du Christ”, folio 93v des Très Belles Heures de
Notre-Dame |
La ville portuaire fluviale surmontée d’un château
sur son éperon rocheux va alors devenir récurrente dans beaucoup de tableaux
italiens et flamands de la Renaissance (voir G. Chambon,
Le paysage urbain dans la peinture au Moyen-âge et à la Renaissance, l’émergenced’une esthétique fractale pp.
232-240). Les artistes
nordiques comme Lucas de Leyde, Patinir, Gassel, van Scorel, Herri met de Bles,
mais aussi des Italiens, notamment Mantegna, Cossa, Filippino Lippi,
Signorelli, Carpaccio, ou même Léonard de Vinci, agrémentent les lointains de
leurs peintures par des paysages imaginaires où fleuve, villes portuaires, et
escarpements rocheux se rencontrent. La référence aux burgs du Rhin est
souvent explicite chez les Flamands, comme le montre
« Le suicide de
Saül », de Pieter Bruegel l’Ancien.
À la période suivante, quand à la fin du XVIe siècle
le « genre » paysage s’autonomise et fait l’objet de commandes
spécifiques, quelques Allemands autochtones, quelques Flamands de passage se
rendant en Italie et traversant la vallée du Rhin, ou encore les peintres
protestants des Pays-Bas ayant fuit en Allemagne en 1587 pour échapper aux
persécutions religieuses, et ayant
formé notamment une
école à Frankenthal, tous s’intéressent à
ces sites grandioses. Ils réalisent sans doute
sur le motif quelques croquis, qu’ils utilisent par la suite dans
leurs compositions de paysages idéaux, avec une transposition plus ou moins
libre. Pour leurs commanditaires du plat pays, les peintres rêvent « de montagnes et d'escarpements
rocheux, de remparts et de tours jaillissant des collines, d'arbres chargés de
fruits et de fleurs épanouies ; ils
se plaisent à traduire, voire à amplifier, les mélodies de lignes et de
couleurs des vastes paysages ; et ils s’ingénient à en capter l'atmosphère lumineuse » (op. cit. p. 56).
Citons par exemple Marten van Valckenborch (1534-1612) et
son frère Lucas (1535-1597), membres d’une famille de peintres de Louvain, mais qui
ont dû fuir les Pays-Bas espagnols pour s’établir à Francfort, avant de
retourner ensuite à Liège et Anvers ; Joos de Momper II
(1564-1635), issu aussi d’une famille de peintres et
marchands d’art d’Anvers, influencé par l’Italie, peut-être à travers Peter
Bruegel l’ancien, qui avait fait le voyage ; on sait en tout cas qu’il
collabora souvent avec son fils Jan Bruegel de Velours ; Marten Ryckaert (1587-1631),
paysagiste méticuleux, malgré qu’il fut de naissance manchot du bras
gauche ; il a été représenté dans une posture quasi royale par son grand
ami Antoine van Dyck (ce portrait se trouve au musée du Prado) ; Isaac van
Oosten (1613-1661), paysagiste anversois connu notamment pour ses « jardins
d’Eden » et pour ses « Orphée charmant les animaux ». Antoine
Mirou (1570-ap.1661), anversois à la touche minutieuse, réfugié à Frankenthal où il subit
l’influence de son compatriote Gillis van Coninxloo.
Je présente ci-après
quelques-unes de leurs œuvres significatives se référant explicitement ou non aux paysages de la vallée du Rhin.
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Lucas van Valckenborch, "Paysage montagneux du Rhin" |
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Marten van Valckenborch, "Paysage panoramique avec vue sur une vallée fluviale", panneau 51- 75 cm |
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Joos de Momper II, "La Chute d'Icare", panneau 80x125cm |
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Marten Ryckaert, "Paysage de la vallée du Rhin" |
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Marten Ryckaert, "Paysage côtier de la vallée du Rhin" |
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Isaac van Oosten, "Paysage animé", huile sur cuivre |
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Antoine Mirou, "Paysage avec le repos pendant la fuite en Égypte", huile sur cuivre 21 x 30 cm |
Mais le plus connu au
XVIIe siècle pour ses paysages rhénans est un peintre d’Utrecht, Herman
Saftleven (1609-1685), dont on suppose qu’il voyagea le long du Rhin dans les années 1640.
Il peint des paysages vallonnés vus en général d’un point élevé, avec une
rivière s’écoulant dans une large vallée, et quelques ruines au sommet des
collines. Ces paysages sont
traditionnellement appelés « rhénans », bien qu’ils soient toujours idéalisés et ne représentent
aucun lieu précis repérable sur le cours du fleuve.
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Herman Saftleven, "Paysage du Rhin" |
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Herman Saftleven, "Paysage du Rhin", 1665 |
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Gravure de Jan van Aken, d'après Herman Saftleven,"Vue du Rhin", Harvard Art Museum |
À la fin du siècle, quelques décennies après Herman
Saftleven, Jan Griffier (ca. 1651-1718), un peintre amstellodamois installé à Londres, lui
emboîta le pas, à tel point qu’il est parfois difficile d’attribuer à l’un ou
l’autre certains paysages « rhénans » non signés.
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Jan Griffier, "Fête villageoise dans la vallée du Rhin", Johnny van Haeften Gallery, Londres |
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Atelier de Jan Griffier ou de Herman Saftleven, "Paysage fluvial animé" huile sur toile 67,5 x 79 cm, collection privée
Cette toile réinterprète une gravure de Hendrick van Schoel, d'après un dessin de Hans Bol, représentant "l'Automne" dans une série des saisons |
Les peintres romantiques des XVIIIe et XIXe siècles
continueront de célébrer la vallée du Rhin. Notamment les peintres francfortois
Christian Georg Schütz (1718-1791), et Franz Hochecker (1730-1782) ; ils
sont connus pour leurs nombreuses représentations romantiques du Rhin, que
prisait Goethe.
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Attribué à Chritian Georg Schütz, "Paysage du Rhin" |
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Chritian Georg Schütz, "Paysage du Rhin", 1756, toile 29x40cm, collection Peter Mülbauer |
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Franz Hochecker, "Paysage du Rhin, 23x31cm |
Un troisième peintre allemand, vivant aux Pays-Bas, a aussi
peint la vallée du Rhin dans un style proche de celui de Schütz ; il
s’agit de Johann Christian Vollerdt
(1708-1769). Il y avait aussi un peintre hollandais, Cornelis
Verdonck (1665-autour de1718), dont les œuvres rhénanes sont très connues
mais la biographie obscure.
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Johann Christian Vollerdt, "Paysans et promeneurs dans un paysage fluvial" 43x54cm |
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Cornelis Verdonck, "Paysage des bords du Rhin" |
Curieusement, par rapport au siècle précédent, la
morphologie naturelle des paysages représentés est plutôt mieux respectée, le
romantisme s’exprimant davantage dans les chaumières qui animent les paysages,
et dans les lumières soit vaporeuses, soit magnifiées par un coucher de soleil.
Au XIXe siècle, quand le paysage
romantique triomphe en particulier avec les nombreuses éditions de voyages
pittoresques illustrés de lithographies et gravures, la vallée du Rhin n’est
pas oubliée ; ainsi en France et en Angleterre, où ce type d’ouvrages est
très prisé, paraissent respectivement à Londres en 1832 « Vues sur les
Bords du Rhin // No. 1 de l`Histoire et de la Topographie des Bords du Rhin depuis
Cologne jusqu'à Mayence. / Rédigée par Guillaume Gray Fearnside. / Ornée d`une
Suite des Vues, exécutées expressément pour cet Ouvrage, par W. Tombleson, et
gravée dans le dernier Genre, par les Artistes les plus distingués » ; et à
Tours en 1882 « Les Bords du Rhin, de Mayence à Cologne » par Hippolyte Durand, avec des illustrations de Karl Girardet.
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Gravure sur un dessin de W. Tombleson, "Vues des bords du Rhin, Pfalzgrafenstein" 1832 |
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Gravure sur un dessin de W. Tombleson, "Vues des bords du Rhin, Bacharach" 1832 |
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Gravure sur un dessin de W. Tombleson, "Vues des bords du Rhin, Marksburg" 1832 |
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Gravure de Karl Girardet in "Les bords du Rhin - de Mayence à Cologne", 1882 |
Parallèlement aux estampes, nous
avons également quelques paysages rhénans de peintres voyageurs comme le
Néerlandais Barend Cornelis Koekkoek (1803-1862), le Suisse Johann Jacob Mayer
(1787-1858), le Français Pierre Justin Ouvrié (1806-1879), l’Anglais George Clarkson Stanfield (1828-1878) et, non des moindres,
William Turner (1775-1851), dont la vue de Kaub et du château de Gutenfels, de
1824, tranche avec le réalisme un peu léché des précédents.
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Attribué à Pierre-Justin Ouvrié "Vue de St Goar sur le Rhin" |
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Pierre-Justin Ouvrié "Souvenir des bords du Rhin, entre Coblentz et Mayence", huile sur toile, musée du Louvre |
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Johann Jacob Mayer, " Paysage idéal des bords du Rhin", 32x41cm |
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George Clarkson Stanfield, "Vue du Rhin avec tour de l'Aigle à Rüdesheim" |
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William Turner "Kaub et le châteaiu de Gutenfels", 1824 |
Mais quelles que soient nos préférences picturales
pour les uns ou pour les autres, pour le XVIIe, le XVIIIe, ou le XIXe siècle,
force est de constater que les photos d’aujourd’hui qui émaillent les
catalogues touristiques et vantent le paysage de la vallée du Haut-Rhin Moyen,
sont totalement dépourvues de la poésie des œuvres peintes, et ne nous aident
plus à ressentir la beauté fugitive et rêvée du paysage.