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samedi, avril 20, 2013

Les « fanico » sur la rive du Niger à Bamako

 
Gilles Chambon, Fanico sur les bords du Niger, étude en cours, huile sur toile


Gilles Chambon, Fanico sur les bords du Niger,  2013, toile terminée 46x49cm
Les fanico, ce sont les laveurs de linge (littéralement : « laveurs d’habits »). Pour quelques francs CFA, ils apportent près de la berge du fleuve le linge qu’ils ont ramassé tôt le matin dans les maisons, avec de petites charrettes ou à bicyclette. Ce travail est maintenant principalement effectué par les hommes, alors que traditionnellement, la lessive est réservée aux femmes dans les familles. Ils amassent de grosses quantités de vêtements, et ont certainement des trucs pour ne pas mélanger le linge de leurs différents clients ; comme par exemple une façon différente de le nouer.

Le linge est d’abord savonné dans des bassines avec un gros savon d’huile de palme, puis déposé au bord de la rivière, sur de vieux pneus de tracteur qui flottent sur l’eau, avec de grandes pierres plates assujetties au milieu ; ce dispositif leur sert de planche à laver, les vêtements et draps y sont énergiquement battus, frottés, et brossés. Le linge est ensuite rincé dans l’onde trouble du Niger. Pour cela, les fanico sont plongés à mi-corps dans l’eau savonneuse ; les plus jeunes en profitent d’ailleurs souvent pour se baigner aux heures chaudes. Les vêtements propres, mis à sécher au soleil sur des nattes qui les isolent de la poussière rouge du sol, offrent à l’oeil une belle symphonie de couleurs bariolées.

lundi, avril 08, 2013

Le paysage du Haut-Rhin idéalisé par la peinture


Vallée du Rhin à Bacharach, lithographie de Gustav Kraus, Münich, vers 1835

Parmi les paysages classés au patrimoine culturel mondial par l’UNESCO, figure la vallée du Haut-Rhin Moyen, en Allemagne, entre Bingen et Coblence. Le relief naturel escarpé, associé à l’attractivité de ce grand axe de communication, ont produit au fil de l’histoire un paysage exceptionnel : méandres contournant les collines boisées, vignes en terrasses, villes portuaires, châteaux médiévaux perchés sur leurs promontoires et scandant le cours du fleuve…. Assurément des points de vue incroyables, à faire vibrer d’émoi les âmes romantiques. 

Dès l’aube de la Renaissance, les peintres miniaturistes, de plus en plus friands de paysages lointains dans leurs compositions religieuses ou mythologiques, s’inspirent des lieux naturels les plus remarquables qu’ils ont visités (ainsi par exemple le Mont St Michel dans une des miniatures des Très Riches Heures du duc de Berry, due aux frères Limbourg). Jan van Eyck est le premier chez qui l’ont peut déceler une référence aux paysages de la vallée du Rhin ; d’abord sur une miniature qui lui est attribuée, aujourd’hui détruite : Saint Julien et son épouse transportant le Christ sur un estuaire, miniature détruite des Heures de Turin-Milan “main G” - 1422-1424 ; et sur une autre miniature de la même époque, qui lui est aussi attribuée : le “Baptême du Christ”, folio 93v des Très Belles Heures de Notre-Dame, entre 1422 et 1424

Saint Julien et son épouse transportant le Christ sur un estuaire, miniature détruite des Heures de Turin-Milan, détail à droite
Baptême du Christ”, folio 93v des Très Belles Heures de Notre-Dame


La ville portuaire fluviale surmontée d’un château sur son éperon rocheux va alors devenir récurrente dans beaucoup de tableaux italiens et flamands de la Renaissance (voir G. Chambon, Le paysage urbain dans la peinture au Moyen-âge et à la Renaissance, l’émergenced’une esthétique fractale pp. 232-240). Les artistes nordiques comme Lucas de Leyde, Patinir, Gassel, van Scorel, Herri met de Bles, mais aussi des Italiens, notamment Mantegna, Cossa, Filippino Lippi, Signorelli, Carpaccio, ou même Léonard de Vinci, agrémentent les lointains de leurs peintures par des paysages imaginaires où fleuve, villes portuaires, et escarpements rocheux se rencontrent. La référence aux burgs du Rhin est souvent explicite chez les Flamands, comme le montre « Le suicide de Saül », de Pieter Bruegel l’Ancien.
 
Pieter Bruegel l'Ancien, "Le suicide de Saül", 1562, panneau 33x55cm, Kunsthistorisches Museum de Vienne
À la période suivante, quand à la fin du XVIe siècle le « genre » paysage s’autonomise et fait l’objet de commandes spécifiques, quelques Allemands autochtones, quelques Flamands de passage se rendant en Italie et traversant la vallée du Rhin, ou encore les peintres protestants des Pays-Bas ayant fuit en Allemagne en 1587 pour échapper aux persécutions religieuses, et ayant formé notamment une école à Frankenthal, tous s’intéressent à ces sites grandioses. Ils réalisent sans doute sur le motif quelques croquis, qu’ils utilisent par la suite dans leurs compositions de paysages idéaux, avec une transposition plus ou moins libre. Pour leurs commanditaires du plat pays, les peintres rêvent « de montagnes et d'escarpements rocheux, de remparts et de tours jaillissant des collines, d'arbres chargés de fruits et de fleurs épanouies ; ils se plaisent à traduire, voire à amplifier, les mélodies de lignes et de couleurs des vastes paysages ; et ils s’ingénient à en capter l'atmosphère lumineuse » (op. cit. p. 56).

Citons par exemple Marten van Valckenborch (1534-1612) et son frère Lucas (1535-1597), membres d’une famille de peintres de Louvain, mais qui ont dû fuir les Pays-Bas espagnols pour s’établir à Francfort, avant de retourner ensuite à Liège et Anvers ;  Joos de Momper II (1564-1635), issu aussi d’une famille de peintres et marchands d’art d’Anvers, influencé par l’Italie, peut-être à travers Peter Bruegel l’ancien, qui avait fait le voyage ; on sait en tout cas qu’il collabora souvent avec son fils Jan Bruegel de Velours ; Marten Ryckaert (1587-1631), paysagiste méticuleux, malgré qu’il fut de naissance manchot du bras gauche ; il a été représenté dans une posture quasi royale par son grand ami Antoine van Dyck (ce portrait se trouve au musée du Prado) ; Isaac van Oosten (1613-1661), paysagiste anversois connu notamment pour ses « jardins d’Eden » et pour ses « Orphée charmant les animaux ». Antoine Mirou (1570-ap.1661), anversois à la touche minutieuse, réfugié à Frankenthal où il subit l’influence de son compatriote Gillis van Coninxloo. 
Je présente ci-après quelques-unes de leurs œuvres significatives se référant explicitement ou non aux paysages de la vallée du Rhin.

Lucas van Valckenborch, "Paysage montagneux du Rhin"

Marten van Valckenborch, "Paysage panoramique avec vue sur une vallée fluviale", panneau 51- 75 cm

Joos de Momper II, "La Chute d'Icare", panneau 80x125cm

Marten Ryckaert, "Paysage de la vallée du Rhin"

Marten Ryckaert, "Paysage côtier de la vallée du Rhin"

Isaac van Oosten, "Paysage animé", huile sur cuivre

Antoine Mirou,  "Paysage avec le repos pendant la fuite en Égypte", huile sur cuivre 21 x 30 cm
Mais le plus connu au XVIIe siècle pour ses paysages rhénans est un peintre d’Utrecht, Herman Saftleven (1609-1685), dont on suppose qu’il voyagea le long du Rhin dans les années 1640. Il peint des paysages vallonnés vus en général d’un point élevé, avec une rivière s’écoulant dans une large vallée, et quelques ruines au sommet des collines. Ces paysages sont traditionnellement appelés « rhénans »,  bien qu’ils soient toujours idéalisés et ne représentent aucun lieu précis repérable sur le cours du fleuve.
 
Herman Saftleven, "Paysage du Rhin"

Herman Saftleven, "Paysage du Rhin", 1665

Gravure de Jan van Aken, d'après Herman Saftleven,"Vue du Rhin", Harvard Art Museum

À la fin du siècle, quelques décennies après Herman Saftleven, Jan Griffier (ca. 1651-1718), un peintre amstellodamois installé à Londres, lui emboîta le pas, à tel point qu’il est parfois difficile d’attribuer à l’un ou l’autre certains paysages « rhénans » non signés.
 
Jan Griffier, "Fête villageoise dans la vallée du Rhin",  Johnny van Haeften Gallery, Londres

Atelier de Jan Griffier ou de Herman Saftleven, "Paysage fluvial animé" huile sur toile 67,5 x 79 cm, collection privée
Cette toile réinterprète une gravure de Hendrick van Schoel, d'après un dessin de Hans Bol, représentant "l'Automne" dans une série des saisons

Les peintres romantiques des XVIIIe et XIXe siècles continueront de célébrer la vallée du Rhin. Notamment les peintres francfortois Christian Georg Schütz (1718-1791), et Franz Hochecker (1730-1782) ; ils sont connus pour leurs nombreuses représentations romantiques du Rhin, que prisait Goethe.

Attribué à Chritian Georg Schütz, "Paysage du Rhin"

Chritian Georg Schütz, "Paysage du Rhin", 1756, toile 29x40cm, collection Peter Mülbauer

Franz Hochecker, "Paysage du Rhin, 23x31cm

Un troisième peintre allemand, vivant aux Pays-Bas, a aussi peint la vallée du Rhin dans un style proche de celui de Schütz ; il s’agit de Johann Christian Vollerdt (1708-1769). Il y avait aussi un peintre hollandais, Cornelis Verdonck (1665-autour de1718), dont les œuvres rhénanes sont très connues mais la biographie obscure.
 
Johann Christian Vollerdt, "Paysans et promeneurs dans un paysage fluvial" 43x54cm

Cornelis Verdonck, "Paysage des bords du Rhin"

Curieusement, par rapport au siècle précédent, la morphologie naturelle des paysages représentés est plutôt mieux respectée, le romantisme s’exprimant davantage dans les chaumières qui animent les paysages, et dans les lumières soit vaporeuses, soit magnifiées par un coucher de soleil.

Au XIXe siècle, quand le paysage romantique triomphe en particulier avec les nombreuses éditions de voyages pittoresques illustrés de lithographies et gravures, la vallée du Rhin n’est pas oubliée ; ainsi en France et en Angleterre, où ce type d’ouvrages est très prisé, paraissent respectivement à Londres en 1832 « Vues sur les Bords du Rhin // No. 1 de l`Histoire et de la Topographie des Bords du Rhin depuis Cologne jusqu'à Mayence. / Rédigée par Guillaume Gray Fearnside. / Ornée d`une Suite des Vues, exécutées expressément pour cet Ouvrage, par W. Tombleson, et gravée dans le dernier Genre, par les Artistes les plus distingués » ; et à Tours en 1882 « Les Bords du Rhin, de Mayence à Cologne » par Hippolyte Durand, avec des illustrations de Karl Girardet.

Gravure sur un dessin de W. Tombleson, "Vues des bords du Rhin, Pfalzgrafenstein" 1832

Gravure sur un dessin de W. Tombleson, "Vues des bords du Rhin, Bacharach" 1832

Gravure sur un dessin de W. Tombleson, "Vues des bords du Rhin, Marksburg" 1832

Gravure de Karl Girardet in "Les bords du Rhin - de Mayence à Cologne", 1882

Parallèlement aux estampes, nous avons également quelques paysages rhénans de peintres voyageurs comme le Néerlandais Barend Cornelis Koekkoek (1803-1862), le Suisse Johann Jacob Mayer (1787-1858), le Français Pierre Justin Ouvrié (1806-1879), l’Anglais George Clarkson Stanfield (1828-1878) et, non des moindres, William Turner (1775-1851), dont la vue de Kaub et du château de Gutenfels, de 1824, tranche avec le réalisme un peu léché des précédents.

Attribué à Pierre-Justin Ouvrié "Vue de St Goar sur le Rhin"

Pierre-Justin Ouvrié  "Souvenir des bords du Rhin, entre Coblentz et Mayence", huile sur toile, musée du Louvre

Johann Jacob Mayer, " Paysage idéal des bords du Rhin",  32x41cm

George Clarkson Stanfield, "Vue du Rhin avec tour de l'Aigle à Rüdesheim"

William Turner "Kaub et le châteaiu de Gutenfels", 1824

Mais quelles que soient nos préférences picturales pour les uns ou pour les autres, pour le XVIIe, le XVIIIe, ou le XIXe siècle, force est de constater que les photos d’aujourd’hui qui émaillent les catalogues touristiques et vantent le paysage de la vallée du Haut-Rhin Moyen, sont totalement dépourvues de la poésie des œuvres peintes, et ne nous aident plus à ressentir la beauté fugitive et rêvée du paysage.