Parmi les peintres maniéristes
flamands de la seconde moitié du XVIe siècle, Maerten de Vos, artiste
anversois, occupe une place particulière : il est aujourd’hui d’abord
connu comme peintre d’histoire ayant adopté la cause de la contre-réforme
malgré son premier ancrage dans la religion protestante.
Elève de Frans Floris et ayant
fait, entre 1552 et 1556 le voyage d’Italie, sans doute en compagnie de Pieter
Bruegel, il peint des compositions narratives très denses et très structurées,
riches en détails. La couleur chatoyante et précieuse (peut-être un souvenir de
son hypothétique passage à Venise dans l’atelier du Tintoret), contribue à
organiser une symphonie d’attitudes, à la fois élégantes et stéréotypées, où
les scènes semblent être discrètement mimées, plutôt que surjouées, comme elles
le sont généralement chez les peintres maniéristes. Il a aussi une façon
particulière de faire ressortir les muscles et les plis des costumes, accusant
la blancheur des bombés et amincissant les lignes d’ombre, toujours très
colorées, ce qui accentue le caractère graphique.
Maerten de Vos, David et Abigail, huile sur panneau, Musée des Beaux-Arts de Rouen |
Mais l’aspect le plus important
de son travail, même s’il n’est pas très connu, est son extraordinaire
production de dessins destinés à l’estampe, soit en vue de l’illustration de
livres, soit simplement pour servir de cartons à toutes sortes d’objets d’art,
depuis la vaisselle (Bernard Palissy a utilisé des compositions de M. de Vos),
jusqu’à la tapisserie. Karel van Mander, dans son célèbre « Livre des
peintres » (1604), dit de lui que «Les nombreuses estampes que divers
graveurs ont exécutées d’après ses dessins nous montrent surabondamment sa
facilité de composition, son adresse à grouper les figures, en un mot son
génie. Ces planches sont en tel nombre qu’on peut dire que Martin de Vos égale,
s’il ne surpasse en fécondité, l’autre Martin, je veux dire Martin Heemskerck. »
Il fit en particulier de
nombreuses séries : « Les sept merveilles du monde », « les
cinq sens », « les douze mois », « les vents »,
« les planètes », etc… Il illustra aussi abondamment la bible.
Maerten de Vos, L'odorat, encre brune et lavis brun, Collection de l'Ecole des Beaux-Arts de Paris |
Je m’intéresserai ici à une série
d’illustrations de la Genèse, représentant le paradis terrestre.
Ce sont de petites images rondes,
montrant les étapes de « la chute de l’homme ». Cinq ont été gravées
par Philippe Galle (on en
trouve un exemplaire dans les collections du British Museum).
Série de gravures "La chute de l'Homme", gravée par Ph. Galle, d'après des dessins de Maerten de Vos, collection British Museum |
Cinq autres ont
été gravées par Nicolas
de Bruyn (exemplaires dans les collections du Rijksmuseum
d’Amsterdam ; j’ai rajouté une sixième image, du même ensemble, ayant
trait à la création des animaux).
Série de gravures "La chute de l'Homme", gravée par Nicolas de Bruyn, d'après des dessins de Maerten de Vos, collection Rijksmuseum |
Ces dernières sont plus intéressantes, par
leur scénographie synthétique et néanmoins détaillée, montrant en particulier
les animaux de la création. A la fin du XVIe et au XVIIe siècle, les
représentations animalières dans le cadre d’un paradis terrestre de plus en
plus exotique vont devenir une spécialité des peintres flamands (surtout Roelandt
Savery, qui avait étudié les animaux exotiques à la cour de Rodolphe II, et
Jan
I Bruegel). Chez M. de Vos, bien que les dessins soient très petits, on
dénombre pas moins de vingt cinq espèces, dont il faut savoir que toutes sont
associées à une ou plusieurs significations symboliques, perceptibles pour le
public cultivé de l’époque.
En vrac, nous découvrons, outre
l’incontournable serpent, acteur de la chute, et les oiseaux volant dans le
ciel dont on ne peut déterminer l’espèce, les animaux familiers que sont les
chien, lapin, renard, cerf, chèvre, mouton, vache, cheval, sanglier, ours, dindon,
cygne, héron, paon ; et presque autant d’animaux exotiques :
autruche, girafe, chameau, lion, léopard, singe, éléphant, rhinocéros,
porc-épic. Enfin deux espèces imaginaires, mais parlant à toutes les
imaginations : la licorne et le griffon.
Rappelons quelques
symboles : le mouton et le cerf sont associés au Christ, le léopard à la
concupiscence, le lapin à l’acte de chair, la chèvre aux fidèles chrétiens, le
porc-épic au courage, le lion à la force et à la royauté, etc..
Il existe une autre image ronde
sur le même thème, encore plus petite (85mm de diamètre), gravée par Jean Théodore de
Bry, qui surpasse toutes les autres en qualité : Dieu, symbolisé par
les lettres hébraïques yod, hé vau, hé, s’adresse à Adam et Eve pour les mettre
en garde ; ils sont dans une attitude déférente et respectueuse,
légèrement craintive, les mains jointes (on découvre aussi au premier plan une
tortue, un lézard, et une grenouille).
Dieu parle à Adam et Eve, gravure (contre-épreuve et restitution de l'épreuve) de Jean Théodore de Bry d'après un dessin de Maerten de Vos |
Cette gravure unique, conservée
au Rijksmuseum, est mystérieuse : c’est une contre-épreuve (le texte est à
l’envers*), nous ne connaissons pas sa provenance, ni s’il y a d’autres gravures
qui lui sont associées.
* Il
s'agit peut-être d'un tirage définitif; en effet, dans une autre série
de M. de Vos sur le thème de "L'histoire de Jonas", gravée au burin par
Crispin de Passe le Vieux, les textes sont aussi restitués à l'envers.
L'utilisation de l'écriture spéculaire avait sans doute alors une
raison, mais je ne la connais pas.
Mise à jour Décembre 2014 et déc 1016 : j'ai retrouvé récemment, également dans les collections du Rijksmuseum , la gravure de Johann Sadeler faite d'après Maerten de Vos (format 197mm x 248mm; la mention D figuravit en bas à droite désigne Maerten de Vos - voir François Brulliot "Dictionnaire des monogrammes, marques figurées, lettres initiales ...," Volume 2, p.69), qui est à l'origine de la petite gravure de J-Th de Bry, et qui a donc servi de modèle direct pour le tableau dont il est question ci-après (notons que le singe et le renard en bas à droite sont empruntés à Marcus Gheeraerts, illustration du "De Warachtighe Fabulen" - Bruges 1567).
Un
grand tableau de bonne facture, vendu il y a peu de temps à Drouot, attribué à Jan Soens, et titré par erreur « Adam et Eve
chassés du paradis », est la reprise de la gravure « Dieu bénit Adam, Eve, et les animaux » faite d’après un dessin de Maerten de Vos. Sur la toile au
premier plan, un escargot vient compléter le bestiaire.
Dieu s'adressant à Adam et Eve, entourage de Maerten de Vos (Jan Soens ou Tobias Verhaecht), 98x108cm, collection privée |
Sur cette peinture, Dieu est représenté en
vieillard, comme sur la gravure du même thème de la série de Nicolas de Bruyn.
Le tableau faisant 0,98m x 1,08m, il a été fait non à
partir de la gravure ronde de 0,085m de diamètre, mais d'après la gravure de Sadeler, légèrement rognée sur les côtés; il pourrait être de Jans Soens, qui travaillait beaucoup d'après gravures; il en possédait 1077 à sa mort en 1611. Et cette toile est à rapprocher des six peintures de la Galleria Nazionale de Parme, exécutées par Soens entre 1580 et 1586, et qui traitent l'histoire d'Adam et Eve; leur format moyen de 112cm x 108cm, ainsi que leur réalisation sur toile, les rapprochent de notre tableau ; voir image ci-dessous.
La facture, qui n'est en tout cas pas celle de Maerten de Vos, pourrait aussi être celle de son jeune collègue Tobias Verhaecht (on peut comparer le tableau étudié au Châtiment de Niobé, - image ci-dessous - attribué à Verhaecht - musée des Beaux-Arts de Valenciennes). Le tableau serait en tout cas issu d’un cercle proche de Tobias Verhaecht ou de Gillis van Coninxloo, le travail des couleurs et des lumières s'y apparentant. Tobias Verhaecht a notamment travaillé sous la direction de Maerten de Vos en 1593-1594 pour les décors de "La joyeuse entrée" à Anvers de l'archiduc Ernest d'Autriche. (texte complété et mis à jour en mai 2013, et réactualisé en décembre 2014).
La facture, qui n'est en tout cas pas celle de Maerten de Vos, pourrait aussi être celle de son jeune collègue Tobias Verhaecht (on peut comparer le tableau étudié au Châtiment de Niobé, - image ci-dessous - attribué à Verhaecht - musée des Beaux-Arts de Valenciennes). Le tableau serait en tout cas issu d’un cercle proche de Tobias Verhaecht ou de Gillis van Coninxloo, le travail des couleurs et des lumières s'y apparentant. Tobias Verhaecht a notamment travaillé sous la direction de Maerten de Vos en 1593-1594 pour les décors de "La joyeuse entrée" à Anvers de l'archiduc Ernest d'Autriche. (texte complété et mis à jour en mai 2013, et réactualisé en décembre 2014).
Châtiment de Niobé, Tobias Verhaecht - musée des Beaux-Arts de Valenciennes |
Gillis van Coninxloo, peintre de paysages réputé à Anvers, a un style et les scénographies qui ont été très diffusées par son atelier et sont assez proches de ceux du tableau étudié. (mise à jour décembre 2014)
Cercle de Gillis van Coninxloo, paysage forestier |
Dans une vente au Dorotheum de Vienne, le 19 avril, on retrouve aussi, dans une belle série de six grandes peintures sur cuivre (72 x 93 cm) représentant des scènes de la vie d'Adam et Eve, une réinterprétation de la gravure de Sadeler sur le dessin de Maerten de Vos. La scène de la création d'Eve et celle représentant Adam travaillant la terre après la chute viennent également de deux autres gravures de Sadeler / Maerten de Vos. La série est attribuée à Jan Bruegel le Jeune.
Jan Bruegel le Jeune (attr), scènes de la Genèse, huiles sur cuivre 72x93cm chacune |
Jan II Bruegel, Adam et Eve au jardin d'Eden (Genèse, 2-23), huile sur cuivre 72x93 cm) |
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