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mercredi, août 29, 2012

Les Klimt de la collection Lederer détruits à Immendorf


G. Klimt, détail de la "Frise Beethoven", 1901-02, conservée au Palais de la Sécession, Vienne

Gustav Klimt, mort en 1918 à l’âge de 55 ans, a laissé derrière lui une œuvre considérable, aujourd’hui universellement admirée, et qui a donné lieu, en cette année 2012, cent cinquantième anniversaire de sa naissance, à de nombreuses expositions. Les principales sont évidemment à Vienne (tableaux au Belvédère, dessins au Wien Museum, contexte de l’avant-garde viennoise au Musée autrichien du théâtre, Frise Beethoven à la Sécession, documents d’archives au Künstlerhaus, collection textile d’Emilie Flöge, créatrice de mode qui fut sa muse et sa compagne, au Musée d’étude des folklores) ; citons également l’exposition de Venise, au Musée Correr.

Klimt a cela d’extraordinaire qu’il se situe à la croisée des chemins :

- A la croisée des siècles entre le XIXe siècle académique et le XXe avant-gardiste ;

- A la croisée des cultures : Vienne, capitale de l’empire de François-Joseph, qui comptait alors plus de 50 millions de sujets, regroupait 15 nations ; les groupes ethniques et religieux les plus divers s’y côtoyaient, parmi lesquels la communauté juive. L’ébullition intellectuelle et artistique était alors à son apogée (Freud et Schnitzler en médecine, Otto Wagner, Josef Hoffmann, Joseph Maria Olbrich, et Adolf Loos, en architecture, Gustav Klimt, Egon Schiele, Koloman Moser, et Oscar Kokoschka, en peinture, Hermann Bahr, Karl Kraus, Peter Altenberg, Rainer Maria Rilke en littérature, Gustav Mahler, Schönberg et son groupe d’élèves Alban Berg, Webern, Wellesz… en musique.)

- A la croisée des arts, entre peinture d’histoire, arts décoratifs, et illustration.

- A la croisée des influences : classicisme, japonisme, byzantinisme, cubisme, impressionnisme, symbolisme…

Sa peinture est une sorte d’heureuse et puissante synthèse, qui réconcilie dans une hallucinante beauté l’art le plus traditionnel et l’art le plus révolutionnaire. Etant le chef de file de la Sécession, et osant bousculer toutes les conventions, il a bien sûr été très critiqué par les académistes de son temps, puis par la terrible idéologie national-socialiste. Cependant, on croit souvent que les Nazis ont brûlé en 1945, dans l’incendie du château Immendorf, 14 tableaux du maître viennois, issus de la collection August et Serena Lederer, parce qu’ils le considéraient comme un peintre dégénéré ; mais la réalité est très différente.

En fait, le collectionneur d’art juif August Lederer, qui avait réuni ces peintures (parmi lesquelles d’authentiques chefs d’œuvre dont la célèbre « Frise Beethoven », qu’il avait acquise en 1903 après l’exposition de la Sécession de 1902, détaché des murs et roulé en 7 morceaux) est mort en 1936, deux ans avant l'Anschluss, annexion de l'Autriche volontaire à l'Allemagne nazie. La collection a été confisquée à sa veuve Serena par le pouvoir Nazi en 1940 ; Serena s’est alors enfui à Budapest, où elle est morte trois ans plus tard.
La Gestapo a transféré la collection (à l’exception de la frise Beethoven, heureusement stockée ailleurs) au château Immendorf, dans le sud de l’Autriche, pour la protéger des bombardements des Alliés sur Vienne ; preuve qu’ils appréciaient l’art de Klimt et que s’ils en avaient spolié les Juifs, ils comptaient bien s’approprier les œuvres plutôt que de les détruire.
En 1943, le Troisième Reich avait d’ailleurs parrainé une exposition des œuvres de Klimt à Vienne. Si les nazis haïssaient l’art moderne en général qu’ils qualifiaient d’art «dégénéré», il y avait cependant des nuances dans leur position : en Autriche, Gustav Klimt était même célébré comme un symbole national.

Que s’est-il passé alors à Immendorf ?
Il faut d’abord se rappeler que le 8 mai 1945, date de la destruction des œuvres, est aussi le jour de la capitulation sans condition du Troisième Reich : Hitler s’était suicidé une semaine plus tôt dans son bunker de Berlin. Les unités SS en déroute, commettaient alors les pires exactions. L’une d’elles, arrivée le 7 mai au château d’Immendorf, avait découvert par hasard les œuvres d’art entreposées. Le propriétaire du château a rapporté plus tard, que les officiers SS avaient admiré les peintures de Klimt ; l’un d’eux aurait déclaré que ce serait un «péché» de laisser les Russes mettre la main sur elles. Selon un rapport de police de 1946, les officiers SS "ont organisé une orgie toute la nuit dans les appartements du château".
Le lendemain, l'unité de SS a posé des explosifs dans les quatre tours du château avant de s’enfuir. Un homme est retourné pour allumer le feu dans l’une des tours. Le feu s’est propagé et tout a finalement explosé. Le château d’Immendorf a brûlé pendant quatre jours. Rien n’a pu être sauvé de tout ce qu’il contenait ; ses ruines ont ensuite été démolies.

Voici la liste des tableaux de Klimt détruits à Immendorf, dont nous avons connaissance par des photos anciennes :

D’abord les plus célèbres, trois toiles (« La Philosophie », « La Médecine », et « La Jurisprudence »,1900-1907) commandées en 1886 pour illustrer les voûtes du plafond de l'Aula magna, le hall d'accueil de l'université de Vienne, mais que l’université lui avait finalement refusées en raison de la polémique qu’avaient déchaîné les deux dernières toiles.
La Philosophie, Klimt, 1900

La Médecine, Klimt, 1901

La Jurisprudence, Klimt, 1902-07

Dans le même esprit, « Le défilé des morts » (1903):

Une œuvre symboliste, « Musik II » (1898), faisant suite à une autre de 1895 « Musik I », visible à la Neue Pinakothek de Munich

Une autre œuvre inspirée par la musique, plus impressionniste, « Schubert au piano » (1899)

Une série de paysages, entre symbolisme et post-impressionnisme :
« Le Pommier d’or » (1903)

« Malcesine sur le lac de Garde » (1913)

« Gastein » (1917)

« Sentier de jardin avec des poulets » (1913)

« Jardin de ferme avec crucifix » (1912)

Un tableau tardif, dans le même esprit que sa célèbre « Danaé » de 1907 : « Léda » (1917)

Un « Portrait de Wally » (1916), postérieur et très différent de celui qu’avait fait Egon Schiele en 1912, également volé par les Nazis, mais repris par les troupes américaines et remis à l’Office fédéral autrichien ; aujourd’hui exposé au Belvédère.

Enfin un tableau très art nouveau « Les petites amies » (1916-17), typique des figures féminines de Klimt.

Nous ne les verrons donc jamais, comme tant d’autres chefs d’œuvre disparus au cours de l’histoire.

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