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samedi, mai 19, 2012

IMMACULATAE VIRGINI


Immaculatae Virgini, huile sur toile 66x55cm, Gilles Chambon, 2012


Les chrétiens, livrés à leur penchant sado-masochisme, aiment à se torturer l’esprit avec des contradictions insolubles, qu’ils s’évertuent néanmoins à résoudre avec la plus délicieuse mauvaise foi (c’est ce qui fait leur charme) :
  • La principale de ces contradictions est plus exactement une injonction contradictoire : l’église demande en effet à ses fidèles de se conformer au commandement divin adressé à Adam et Eve : « Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-là » ; et elle leur demande dans le même temps de ne pas succomber à  la tentation du désir sexuel en commettant l’acte de chair ; car la luxure (plaisir sexuel recherché pour lui-même), est considérée par la religion comme l’un des sept pêchés capitaux.
Il n’est cependant pas très logique de faire l’amour sans rechercher le plaisir sexuel – et pas très facile non plus pour les hommes, puisqu’ils sont tributaires de leur érection : comme le disait si bien Brassens, « la bandaison papa ne se commande pas ». 
Mais toute religion tenant ses ouailles principalement par le sentiment de culpabilité, il était finalement assez malin d’associer un péché à l’acte sexuel. 

Chaque individu porte donc déjà en lui le pêché originel (la trace du désir sexuel inscrite dans les gènes), et il s’expose de surcroît, dans les situations les plus banales et les plus nécessaires de sa vie quotidienne, soit à la frustration perpétuelle, soit au risque de damnation, puisque la tentation des plaisirs sensuels, inspirée du Diable, le guette dès qu’il veut profiter de la vie. 

Il fallait cependant que certains échappassent à cette divine schizophrénie : le Christ rédempteur, ainsi que sa mère, devaient être exempts de tout soupçon de péché, et de toute trace de la souillure originelle. 
D’où, sans doute, l’absence totale d’information concernant la sexualité de Jésus dans les textes canoniques. D’où aussi les deux bizarreries physiologiques dont les théologiens ont affublé la personne de Marie :
  • Sa virginité perpétuelle (inscrite comme vérité de la Foi au concile de Constantinople en 553), 
  • Son immaculée conception (croyance qui ne s’est définitivement établie qu’au XIVe siècle, et qui fut inscrite dans le dogme catholique seulement en 1854).
La dénomination « Immaculatae Virgini » résume bien ce double mystère associé par la religion chrétienne à la mère du Christ : 
  • Elle engendre son fils sans avoir fait l’amour avec un homme (ce qui serait aujourd’hui possible avec l’insémination artificielle), et elle garde sa virginité après l’accouchement (obsession culturelle moyen-orientale et judeo-chrétienne de la défloration).
  • Ses parents Joachim et Anne restent stériles quand ils font l’amour, mais ils conçoivent Marie sans relation charnelle, dès qu’un ange s’en mêle.
Mon tableau « Immaculatae Virgini » donne une version surréaliste (et donc irrévérencieuse) de ce grand mystère sacré. Je vais tenter de soulever quelques pans de la vérité paranoïaque-critique qu’il contient certainement :

La scène se passe sur un échiquier, entouré d’architectures baroques (symbole de la matrice chrétienne), où la dame est la pièce maîtresse : elle est normalement soumise aux règles du jeu fixées par la nature, mais peut facilement s’en affranchir grâce à l’ange, perché en haut à droite, qui est son joker. 

Tout tourne autour de la pureté du nouveau-né (au centre), protégée par la chasteté de la Vierge, et par l’impuissance paradoxale du couple parental (Joachim et Anne), divinement inséminé. Il est représenté ici par deux énigmatiques mannequins chiriconiques, asexuées mais aimants, et réunis sous une boule de gui, plante-talisman bien connue pour ses grands pouvoirs en matière de pureté et de fécondité. 

Dans ce jeu d’échec métaphysique, le camp adverse est celui de la nature et de l’animalité (et donc du Malin). Il comprend des chiens, classiques champions de l’impureté et de la lubricité (mais aussi de la fidélité), et un couple diabolique classique, constitué d’êtres hybrides, impurs par définition : il y a d’abord une femme-chatte, tentatrice, qui cache ses griffes sous un gant de velours. Puis il y a son compagnon, un homme-vampire, avatar de Dracula, connu pour ses bonnes manières et son lien privilégié avec Satan. Il est particulièrement intéressé par le sang menstruel et celui de la défloration, et donc très opposé à la virginité perpétuelle de la Vierge. Il sait que la nature lui donne raison, mais qu’hélas, dans l’imaginaire humain, vu son physique, il sera toujours du mauvais côté.

Remarquons en guise de conclusion que la façade de l’église (bien réelle), plantée au fond du décor, est une métaphore géante du sexe marial : la statue rouge de la vierge, en haut dans sa niche, en est le clitoris, l’oculus est le méat urinaire, et la porte close l’hymen inviolé…

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