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dimanche, mai 08, 2011

La sérendipité en peinture

David et Goliath d’après Caravage, Ernest Pignon Ernest, 
dessin réunissant les têtes tranchées de Caravage et Pasolini, collé vico seminario de nobili, Naples, 1988

Ceux qui courent obstinément après un mirage finissent toujours par découvrir une vérité cachée.

La sérendipité (du nom des « Pérégrinations des trois fils du roi de Serendip » – Ceylan – conte persan, où les princes découvrent des choses inattendues et inconnues d’eux à partir de l’observation d’indices mis par le hasard sur leur chemin) est un mot inventé par Horace Walpole pour désigner les découvertes faites par hasard, sans qu’on les ait subodorées, en recoupant certaines observations apparues souvent au cours d’une recherche différente qui reposait sur des présupposés parfois erronés.

Ainsi par exemple, l’histoire de cet alchimiste dresdois du XVIIe siècle qui découvrit le phosphore en cherchant à extraire l’or à partir de l’urine humaine. Et deux cent trente ans après, Becquerel qui découvre, en faisant des expériences sur la fluorescence, et grâce au contact fortuit entre une plaque photographique et le sel d’uranium sur lequel il travaillait, ce qu’il nommera « l’hyperphosphorescence », et que nous appelons depuis la radioactivité. La découverte de la phosphorescence simple, ou luminescence, avait aussi été faite par hasard au début du XVIe siècle par un cordonnier de Bologne qui, on ne sait pourquoi, avait chauffé de la Barytine, appelée depuis pierre de Bologne.

L’imaginaire, qui stimule notre curiosité et nous pousse vers des chimères, lorsqu’il est couplé avec une certaine sagacité, peut donc conduire à la découverte de choses totalement nouvelles et inédites.

Et ce phénomène est semble-t-il très courant en peinture, si l’on en croit ces propos de Dubuffet, Bacon, Picasso, et Warhol (rapportés sur les sites de Jean-Pierre Duvaleix et Noureddine El Hanni):

  • « L’artiste est attelé avec le hasard (...) Il tire à hue et à dia, cependant qu’il dirige comme il peut, mais avec souplesse, s’employant à tirer parti de tout le fortuit à mesure qu’il se présente. » Dubuffet.
  • « La peinture est pour moi comme un accident. Je la conçois, mais je n’arrive presque jamais à ce que j’avais prévu. Elle se transforme elle-même. En fait, je sais rarement ce que sera la toile et beaucoup de choses se produisent par accident, parce que cela devient un procédé de savoir quel élément de l’accident je vais choisir de préserver ». Francis Bacon.
  • « Combien de fois, au moment de mettre du bleu, j’ai constaté que j’en manquais. Alors, j’ai pris du rouge et je l’ai mis à la place du bleu. Vanité des choses de l’esprit. » Picasso.
  • « Mes peintures ne correspondent jamais à ce que j’avais prévu, mais je ne suis jamais surpris ». Andy Warhol.

Il ne s’agit bien sûr pas pour ces peintres de s’en remettre au hasard pour créer, mais de savoir observer les indices fortuits qui apparaissent au cours du travail, et de les intégrer pour infléchir le résultat recherché à l’origine, pour l’enrichir, voire le transformer totalement.

André Breton pensait que le hasard est « la forme de manifestation de la nécessité extérieure qui se fraie un chemin dans l’inconscient humain». Ainsi la part de l’activité créatrice (ou scientifique) qui échappe forcément de temps à autre à la maîtrise du créateur serait en fait une suite d’occurrences où une rationalité extérieure à l’homme et supérieure à lui se manifesterait, et qu’il serait alors à même de saisir s’il possède la sagacité ou l’intuition nécessaire.

Gageons d’ailleurs que les grandes nouveautés de l’histoire de la peinture, comme par exemple le perfectionnement définitif de la peinture à l’huile dû selon la tradition à Jan Van Eyck, ou le sourire de la Joconde, ou les clair-obscur du Caravage et de Rembrandt, ou les peintures noires de Goya, ou le Déjeuner sur l’herbe de Manet, ou les nymphéas de Monet, ou les places métaphysiques de Chirico, ou le Guernica de Picasso, ou la Peau des murs de Naples* d’Ernest Pignon Ernest, etc., etc., ont toutes quelque chose à voir avec la sérendipité, parce qu’à chaque fois, elles sont allées bien au-delà de ce que leur créateur pouvait espérer.


* Dans un entretien avec Catherine Pont-Humbert sur France-Culture, Ernest Pignon Ernest raconte comment c’est fait le choix de Naples pour son travail sur les murs, devenu si célèbre et emblématique de son œuvre : « ...mes images ont cette dimension… ces caractéristiques d’archétypes (…) et donc je cherchais un lieu où je pourrais traiter de ça (…) et donc je pensais aller en Grèce (…) et puis j’ai entendu une série d’émissions de Philippe Hersant (…) sur Naples (…) sur la musique napolitaine (…) et ça a été le clash (…) et donc dans la semaine j’ai choisi Naples à cause de la musique… »

2 commentaires:

  1. Mon cher Gilles
    Une fois encore, tes réflexions croisent les miennes ou leur apportent des compléments inattendus...
    Je lis régulièrement les remarques que tu nous adresse. Pour la première fois je me décide à te remercier par un commentaire. Sache cependant que j'aime beaucoup ces lectures d'u artiste que j'apprécie et que j'ai eu le plaisir de rencontrer à "L'Oeil écoute".
    Bien amicalement
    Jean-Paul Schmitt

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  2. Merci Jean-Paul, Ernest Pignon-Ernest est en effet un des seuls artistes contemporains de premier plan qui a su construire un pont solide entre l'art traditionnel du peintre et les attentes actuelles de notre monde, toujours en quête de nouveauté.

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