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jeudi, août 06, 2009

LE PITTORESQUE

Gilles Chambon, vue de la sierra Cazorla, 1997

À l’origine, l’adjectif pittoresque avait à peu près la même signification que pictural. Il désignait toute chose qui est propre à la peinture, à l’art de la représentation, à sa scénographie et son esthétique. Par la suite, l’esthétique pittoresque romantique de Gilpin et Price a fixé les caractères du pittoresque en opposition à la beauté classique, perçue comme toujours géométrique, régulière, rationnelle, et d’une certaine façon antinaturelle. Le pittoresque en est donc venu à désigner tout ce qui plaît sans passer sous les fourches caudines des théories classiques du beau et de leurs thèmes de prédilection. On se mit donc à parler de pittoresque pour désigner des scènes séduisantes de la nature, campagne parsemée de villages ou étendues âpres et sauvages, des configurations irrégulières et contrastées, des architectures, des visages, des costumes ou des attitudes endémiques à des contrées éloignées ou des quartiers populaires méprisés par le classicisme. Le rugueux opposé au lisse, le naturel au composé, le fragmenté à l’uni.

Déjà au XVIIe siècle, la notion de sublime, littéralement aux limites, empruntée à l’art antique de la rhétorique, avait servi à désigner toutes les scènes grandioses de la nature qui subjuguaient, bien qu’elles ne cadrassent pas avec les canons de beauté classique.

Les livres de voyages pittoresques, ancêtres des guides bleus et verts, abondèrent au XIXe siècle et, en représentant par d’habiles lithographies les restes médiévaux des bourgades de province, consacrèrent une sorte d’esthétique urbaine médiévale et rurale, plus proche de la nature que le grand art urbain né de la Renaissance italienne.

Mais le pittoresque devint vite sujet à polémique : on lui reprocha d’être basé davantage sur l’affect que sur la raison, d’abaisser l’esprit au lieu de l’élever, de produire du faux naturel, et donc de rompre ce pacte moral qui devrait relier tout art digne de ce nom à la quête de vérité.

Le Corbusier, s’attaquant au livre de l’Autrichien Camillo Sitte qui expliquait l’esthétique médiévale des villes européennes, en vînt à opposer « le chemin des ânes », sinueux et pittoresque, au « chemin des hommes », marqué par la ligne droite et la raison. Ainsi l’esthétique pittoresque, pourtant devenue si importante dans la découverte touristique du monde, continue d’avoir mauvaise presse dans les milieux officiels de l’art. Elle est trop commune, trop naïve, d’accès trop facile. Tous ceux qui voient avant tout dans l’art, à la manière de ce qu’a si bien décrit Bourdieu, un moyen de distinction, tous ceux-là ne peuvent que mépriser cette esthétique vulgaire.

Mais tout le monde, heureusement, n’a pas ce rapport moral ou élitaire à l’art. Certains, dont je fais partie, ont avec le phénomène artistique un rapport beaucoup plus direct et spontané, et préfèrent chercher à comprendre pourquoi telle chose leur plaît ou leur déplaît, plutôt que s’infliger, par idéologie ou moralité déplacée, une admiration forcée pour des œuvres qui ne cadrent ni avec leur sensibilité, ni même avec leur conception de l’intelligence.

Je n’ai donc nulle honte à dire mon intérêt pour l’esthétique pittoresque, que tous ceux qui ont l’habitude de peindre sur le motif pendant leurs voyages connaissent bien. Albrecht Dürer fut le premier à peindre des paysages pendant ses voyages en Italie. Nous sont ainsi parvenues quelques aquarelles remarquables, qui pourraient à juste titre être qualifiées d’oeuvres pittoresques.


Albrecht Dürer, vue d’Arco, 1495, musée du Louvre

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