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samedi, mai 10, 2008

Traces du sacré… ou sacralisation des traces?


Le sacré surgit toujours au bord du vide ; c’est peut-être pour cela que les commissaires de l’exposition en ce moment à l'affiche à Beaubourg ont suivi sa trace jusque dans les œuvres des plasticiens contemporains. Rappelons-nous « Le chef d’œuvre inconnu » de Balzac : sur la toile illisible du vieux Frenhofer représentant la belle noiseuse, Poussin et Porbus ne voient émerger qu’un pied, d’une beauté parfaite. Ce pied est la preuve du sacré, de la beauté sacrée à laquelle s’est confronté le maître pendant dix années de sa vie ; mais le reste de sa toile n’est plus qu’une trace énigmatique, indéchiffrable pour d’autres yeux que les siens. Il finit d’ailleurs par se rendre à la terrible évidence, et se suicide après avoir brûlé toutes ses toiles. Ce conte, excellemment commenté par Michel Serres dans « Genèse », nous place devant le mystère de l’irreprésentable, et devant une terrible vérité : celui qui veut atteindre la perfection, toucher le divin (c’est-à-dire profaner l’espace sacré), perd tout au moment même où il pense avoir réussi. C’est à la fois la chute d’Icare volant trop près du soleil, et Orphée perdant à jamais Eurydice qu’il voulait arracher aux Enfers.

Mais l’art contemporain est cynique, joueur, et désinvolte : et alors que Frenhofer (dans l’imagination de Balzac) se suicida lorsqu’il découvrit que son œuvre n’était qu’une incompréhensible trace de la beauté parfaite à laquelle il avait aspiré toute sa vie durant, les plasticiens contemporains se sont généralement accommodé de leur impuissance face à l’absolu. Ils ont lâché la proie pour l’ombre. Ils ont exulté dans la boue de la trace, et fait leurs choux gras des grigris abscons, qu’ils ont vendu comme de saintes reliques.

Tout un appareil de critiques d’art, de fonctionnaires érudits de la culture, de riches amateurs prétentieux, ont compris l’immense avantage de la trace sacrée sur la simple image profane. Celle-ci se donne pour ce qu’elle est, et si elle frôle parfois le divin, chez Rembrandt, Vermeer, ou Goya, c’est parce qu’ils y ont cherché une vérité avec tout leur art, tout leur savoir, toute leur sueur, et toute leur émotion. A l’inverse, les œuvres « traces » produites par les artistes contemporains ont toutes l’ambivalence des oracles sacrés : elles réclament interprétation et exégèse, et sont un vrai filon pour le clergé culturel. Quant aux artistes, il ne leur déplaît pas d’être perçus comme des sortes de médium sachant révéler l’air du temps ; ils ont découvert l’art à l’état gazeux (Yves Michaud). Et leurs jeux de formes, d’attitudes, ou de propositions, passeront d’autant mieux pour un langage des dieux qu’ils seront transgressifs, violents, ou pour le moins en décalage avec l’imaginaire profane. Y a-t-il (ou y a-t-il eu) parmi eux de vrais mages ? Je ne le crois pas ; mais de vrais artistes certainement : car quelques-uns (je ne donnerai pas de noms) ont été capables de recréer une véritable poésie à partir de tout et de n’importe quoi, utilisant parfois des déchets dégoûtants, et, par surcroît de génie, en s’appuyant sur des théories notoirement erronées.

Alors, si les œuvres du XIXe siècle et du début du XXe présentées dans l’exposition peuvent bien révéler une préoccupation métaphysique, spirituelle, voire religieuse ou mystique, je vois moins, dans les œuvres ou installations ultérieures, une trace du sacré qu’une sorte de sacralisation artistique de la trace.

Et le problème de l’art contemporain est bien là : on lui demande d’être une rédemption élitaire, pour les bassesses, les excès et les monstruosités qui stigmatisent l’histoire contemporaine ; d’où sa dimension sacrée (aux yeux de son clergé en tout cas). Les artistes performateurs me font ainsi penser à La Gloïre, dans « L’arrache-cœur » de Boris Vian : ce pauvre vieillard qui, en allant à la nage ramasser les immondices avec les dents, s’acquitte auprès de ses congénères d’une mission sacrée de rédemption.

jeudi, mai 01, 2008

Petite apologie du palmier

palmeraie baroque, lithographie aquarellée de Gilles Chambon
Le palmier est une plante particulièrement évocatrice et particulièrement riche sur le plan de l’imaginaire : le palmier est littéralement une explosion végétale, un épanouissement, quelque chose comme la queue nuptiale d’un paon, en trois dimension. Il n’y a pas d’ocelles sur son feuillage, mais les longs doigts effilés de ses palmes frémissent au moindre souffle de vent, comme pour montrer qu’ils sont vivants. Le vert lisse de ces grands éventails à quelque chose de frais et de savoureux, comme celui, humide, des petites reinettes mimétiques qui se glissent le long des rainures végétales, et qui font retentir les jardins de leur voix de stentor.

Le palmier vient de très loin : du sud où il se niche en palmeraies miraculeuses qui inventent l’ombre et la fraîcheur, dans les déserts squelettiques et blancs. Mais aussi le palmier vient de loin dans le temps : il vient de la préhistoire d’avant l’homme, d’avant les mammifères, celle des forêts saumâtres vrombissantes du vol des insectes géants et agitées par les brusques attaques de reptiles aux aguets. Le palmier est un vestige du paradis terrestre, d’avant le déluge, d’avant le péché originel, d’un monde où les jours semblaient couler comme l’eau claire d’une source, d’un monde de rêves et de plaisirs innocents, de sensualité libre et de pure beauté ; un monde magique où tout venait à profusion, et où la mort elle-même était germination.

La palmeraie est une explosion de vie, un jaillissement, rythmé comme un feu d’artifice, comme les piles alignées d’une longue cathédrale, comme les jets de musique qu’y lancent les tuyaux du grand orgue baroque.
Alors de leurs bouquets serrés surgissent parfois les tours de fabuleux palais.