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mercredi, novembre 21, 2007

Les dormeuses


Pour rêver, il faut s’être endormi. Mais pour arriver à s’endormir, il faut bien commencer par rêver un peu. On donne ainsi le soir la première impulsion en pensant à quelque chose qui nous plait ou qui nous préoccupe, on explore les développements de l’affaire, puis, sans qu’on s’en aperçoive, le scénario nous échappe, et nous ne sommes plus que spectateurs sans volonté et sans corps.
On aimerait faire des rêves prémonitoires, ou symboliques, ou artistiques, dans le genre surréaliste, par exemple ; ou encore des rêves amusants et inventifs, comme de petits contes drolatiques qu’on se dépêcherait au réveil de noter sur un carnet. Mais au lieu de cela, les rêves sont une sorte de télévision intérieure : on ne sait pas ce qu’on va voir, mais on sait que les programmes sont nuls et décevants. Sans queue ni tête, mal ficelés, si stupides même, qu’au réveil, on ne se rappelle plus de rien. Bien sûr certains s’acharnent à relire Freud ou Jung pour dénicher dans tel ou tel enchaînement incohérent du rêve, quelque secret intime jalousement gardé par l’inconscient.
Je préfère pour ma part laisser cela aux naïfs, et consacrer mon temps à construire des rêves éveillés, qui sont toujours bien supérieurs aux rêves endormis. Le sommeil, alors, au lieu de n’être au rêve qu’un cadre austère et inconscient, comme une salle obscure, devient un spectacle fascinant, un monde fragile, étrangement silencieux et immobile, où chaque détail, à force d'engourdissement, finit par s’ouvrir à toutes sortes de trémulations. Un léger souffle d’imagination se met à plisser le réel. La lumière se prend à découper les objets et à les libérer de leurs déterminations. Les formes se débarrassent de leur pesante signification et basculent dans l’aventure des métamorphoses. Mon pinceau a fixé les dormeuses alanguies juste au moment où elles échappaient aux fronces de la moustiquaire et aux murs de la chambre.

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