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dimanche, avril 01, 2007

La force de l’imaginaire

Gilles Chambon,"Le reniement de Saint Pierre"(détail),  huile sur toile 73x91cm, 2006
Depuis le paléolithique, la peinture a pour objet de donner un (ou plusieurs) visage familier à tous les récits, mythes, rêves, espérances, souvenirs, qui peuplent l’esprit des hommes. Il est vrai que la représentation mécanique (photo, cinéma, image de synthèse), depuis son invention, remplace la peinture dans une grande partie de cette fonction première (mais elle contribue aussi à diffuser largement les œuvres peintes). Pour autant, la peinture comme mode d’expression artistique n’est pas devenue anachronique ; le rôle de la peinture comme représentation n’est alors pas amené à disparaître, comme ont pu le croire les promoteurs de l’art abstrait puis de l’art conceptuel. Mon opinion est que la peinture figurative doit cependant se recentrer aujourd’hui principalement sur trois attentes de l’imaginaire qu’elle seule peut encore satisfaire. Quelles sont-elles ?

Je parlerai d’abord de l’attente fétichiste : là encore, depuis le paléolithique, l’œuvre qui représente est aussi dépositaire d’un certain pouvoir magique, elle est un fétiche, un condensateur de forces inconnues, occultes, surnaturelles. Elle concentre en elle, pourvu qu’on y perçoive certains signes, une charge émotionnelle intense. Cette charge est en fait la trace physique de l’émotion ressentie et du travail ritualisé qui ont permis à l’artiste de produire son œuvre ; Cette charge fétichiste a tendance, dans notre société du spectacle, à se pervertir en se repliant sur la seule signature de l’artiste vu à travers le star-system. Pourtant, l’émotion peut encore surgir de la découverte d’un tableau modeste, même s’il est anonyme. Surtout si c’est une œuvre du passé : la distance temporelle renforce la puissance du fétiche, parce que les générations disparues rejoignent le mythe. Les dieux eux-mêmes sont sans doute, à l’origine, les esprits des anciens dont la puissance magique n’a cessé de croître au fur et à mesure que la distance temporelle les éloignait du présent et les rapprochait de l’origine. En cela la force fétichiste d’une œuvre contemporaine non liée au star-system, est indissociable de la notion de permanence : elle se doit d’exprimer des archétypes, d’être une interprétation contemporaine sincère d’événements ou de sujets auxquels la distance temporelle et la place dans l’imaginaire collectif donne la force du mythe. C’est pourquoi tout le courant de la figuration narrative et de la nouvelle figuration fait fausse route : il recherche à tort, pour s’inscrire dans le stupide cliché de l’artiste engagé, l’interprétation de formes et de faits qui caractérisent le présent par opposition au passé. Alors qu’il faudrait au contraire que l’artiste sache rattacher les manifestations du monde contemporain à l’imaginaire intemporel, à la puissante mythologie collective de nos sociétés, qui, pour être modernes, n’en ont pas moins une longue histoire et une mémoire qui plonge ses racines de plus en plus loin dans les temps révolus.

La seconde attente à laquelle doit répondre, selon moi, la pratique actuelle de la peinture figurative est l’attente esthétique, dans le sens le plus traditionnel, celui de la recherche de la beauté. Je sais que pour beaucoup de critiques, ce mot banal ne veut plus rien dire en matière d’art ; et pourtant. Quand je regarde le « baiser » de Klimt, ou la « femme au chapeau rouge » de Vermeer, ou encore « le printemps » de Botticelli ; quand j’écoute « Syrinx » de Debussy, ou l’air de « Casta Diva » de Bellini, ou le Requiem de Mozart, ou encore le Stabat Mater de Vivaldi, je sais, jusqu’au plus profond de mon être et sans la moindre hésitation, ce que beauté veut dire. Percevoir la beauté dans une œuvre, dans un visage, dans un paysage, c’est entrer en communion avec l’une des nombreuses preuves d’amour, d’espoir, de bonheur, de fantaisie, ou de grandeur que le monde recèle. Or la peinture, en ce qu’elle peut moduler les couleurs et les formes avec une subtilité et une profondeur inégalables par les autres arts, reste le meilleur vecteur pour aller au devant de cette attente de beauté. Encore faut-il bien sûr qu’elle la recherche avec passion.

Enfin la troisième attente à laquelle la peinture peut encore aujourd’hui répondre mieux que tout autre art visuel, est l’attente d’expressivité. La force expressive dont la peinture est capable n’a que peu à voir avec le mouvement expressionniste, qui en est une sorte de caricature. Pour moi, un des sommets de l’expressivité est atteint par Goya dans ses peintures noires. Il s’agit de quelque chose qui résiste à l’analyse iconologique, de quelque chose de mystérieux et subtile, qui donne une fulgurance incroyable à une simple image. C’est un rapport dynamique à la fois insolite et précis entre le contenu, la scénographie, la lumière, les lignes, la stylisation des figures, et la dimension de l’oeuvre. C’est un attracteur étrange chargé d’une tempête d’évocations dicibles et indicibles, qui se manifeste tout à coup derrière la toile et subjugue le spectateur. Mais c’est aussi, à mon avis, la chose la plus difficile pour l’artiste peintre, qui doit souvent se contenter de la modeste expressivité dont il est capable ; car rien n’est pire, dans ce domaine, que l’afféterie, le mensonge, et la contorsion.

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