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vendredi, mars 24, 2017

Job et les démons

Scènes de la vie de Job ; Maître flamand inconnu ; 1480-90, volet droit d'un autel commandé par le prieur Claudio Villa ; Wallraf-Richartz Museum, Cologne
L’histoire de Job est singulière : voilà un homme exemplaire et pieu, respecté de tous, et que la vie a comblé de richesses et d’une descendance nombreuse. Tout le monde pense que son bonheur est la récompense de sa probité et de sa dévotion. Mais Satan va s’en mêler, et faire basculer son destin. Dieu donne en effet au prince des Enfers la permission de mettre Job à l’épreuve, pourvu toutefois qu’il lui garde la vie sauve. 

Dès cet instant les démons vont s’en donner à cœur joie, et lui faire vivre l’enfer sur terre ; ils vont s’en prendre à tout ce qu’il possède, ruiner tous ses biens, tuer ses enfants, et le torturer jusque dans sa chair en lui infligeant une maladie purulente qui lui ravage toute la surface du corps. Mais la foi de Job restera malgré tout inébranlable, et Satan, au bout du compte, devra s’avouer vaincu. Dieu rendra alors à Job santé, richesses, et nouvelle descendance, deux fois plus qu'avant, en proportion de la foi indéfectible dont il a fait preuve pendant tout le temps où le mauvais sort s’est acharné sur lui.

Erhard Altdorfer, Histoire Lazare et de Job, détail, panneau droit montrant l'histoire de Job, circa 1520, tempera et huile sur bois 114.5 × 150 cm,  National Museum, Wroclaw, Pologne

Cette histoire, rapportée dans l’Ancien Testament, semble trouver des origines lointaines en Mésopotamie. C’est avant tout un conte moral destiné à montrer qu’en toutes circonstances il faut garder la foi et remercier Dieu, même quand tout porte à croire qu’il nous a abandonnés. Mais au-delà de la morale, cette parabole pointe d’importantes questions philosophiques : l’injustice réelle ou apparente de la nature et des destinées individuelles, l’existence du mal irrationnel et l’attitude à adopter quand il nous frappe ; comment est-il compatible avec la toute-puissance, l'omniscience, et l'infinie bonté envers les hommes que l’on attribue à Dieu ? Comment résoudre le hiatus entre la raison et la foi ?

Le philosophe allemand Leibniz, dont les thèses sont reprises ensuite par Pope dans son « Essai sur l’Homme » pensait que oui, ce monde est bien « le meilleur des mondes possibles » ; il avait créé le terme de théodicée (1710) pour désigner l’existence d’un « plan d’ensemble qui conduit l’humanité » (définition donnée par Finkielkraut), plan qui n'empêcherait pas l'existence du mal. Un tel plan (les voies impénétrables de Dieu, en quelque sorte) conduit les hommes au fatalisme, et ce fatalisme fut débattu par les philosophes du siècle des lumières. Une querelle éclata notamment après le tremblement de terre de Lisbonne de 1755, qui, rappelant les catastrophes qui s’abattirent sur Job, fit en quelques minutes plus de vingt-cinq mille morts et détruisit dix-huit mille édifices, sans qu’on puisse en imputer la responsabilité à qui que ce soit, sinon à Dieu lui-même. Emmanuel Kant, Jean-Jacques Rousseau, Diderot, et Voltaire s’en prirent à la thèse de Leibniz. Mais même s’il railla dans Candide la naïveté du meilleur des mondes, Voltaire relativisa aussi l’opinion rationaliste dans un très beau poème sur le désastre de Lisbonne, dans lequel il pointe la faiblesse physique et intellectuelle inhérente aux hommes, leur incapacité à surmonter et à comprendre la souffrance, si ce n’est par l’espérance, que seule peut leur donner la foi.

Le tremblement de terre de Lisbonne en 1755, gravure ancienne
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Mais revenons à Job et aux maux que lui inflige le diable. Ils sont à l’opposé des tentations auxquelles il soumet le Christ, ou Saint Antoine (bien que celui-ci soit aussi parfois maltraité par ses démons), ou encore Faust ; avec Job, Satan n’est pas le tentateur, mais le tortionnaire. Les représentations picturales de Job tourmenté par les démons se rapprochent donc beaucoup des scènes montrant les damnés en enfer, très nombreuses dans l’iconographie médiévale. En voici quelques exemples, mis en parallèle avec les représentations de Job (colonne de gauche, Job, colonne de droite, damnés) :

de gauche à droite et de haut en bas :
- Diable tourmentant Job (in St Grégoire le Grand, Moralia in Job, manuscrit latin 15675 f.5v, 3eme quart du XIIe s., BNF)
-Giotto : Le Jugement dernier, détail. 1306. Fresque de la chapelle Scrovegni, Padoue -
Job tourmenté par 4 démons, Office des morts, Livre d'heures, Rouen, autour de 1500, fol. 55r MS. Buchanan e.3, Bodleian Library, Oxford  - Taddeo di Bartolo, Jugement dernier (détail), 1393, Panneau, Collégiale, San Gimignano, Sienne - Job et les demons, Bibliothèque de l’Arsenal (BNF), Ms-651 réserve, détail  f. 89r. 1er quart du XVIe s. - Le jugement dernier, détail du f. 108v. Le Livre du Regime des princes, translaté de latin en françoiz par messire Gilles de Romme, archevesque de Bourges, XVe s., BNF


de gauche à droite et de haut en bas : - Job couvert d'ulcères s'enfuit devant Satan, gravure in Légende dorée de William Caxton, 1483-1484 - l'Enfer, détail du f . 53 r., Dante Alighieri, Divine Commédie, premier chant, XVe s. enluminé par Bartolomeo di Fruosino, BNF - Job sur son fumier tourmenté par sa femme et par le diable, détail Folio 308r., Histoire de la Bible, Utrecht, ca. 1467, Maître de Vederwolken , La Haye, Koninklijke Bibliotheek - l'Enfer, détail du f. 64v. Dante Alighieri, Divine Commédie, premier chant, XVe s. enluminé par Bartolomeo di Fruosino, BNF - Job fouetté par le diable tandis que sa femme le regarde, in "Le Miroir de l'humaine Salvation", Chapitre XX, Ms. fr. 139
Musée Condé, Chantilly - Jan van der Straet ( Stradanus), illustration de la Divine Comédie de Dante, L'Enfer, Chant 17, 1587, conservé à la Bibliothèque Medicea-Laurenziana, Florence
de haut en bas et de gauche à droite : - Satan parle à Dieu puis tourmente Job, in Bible historiale, Guiard des Moulins,  France, Paris, début XVe siècle, BNF, Manuscrits, Français 3 - Diables mordant et griffant les damnés, MS. Douce 134, f. 100r. Livre de la Vigne nostre Seigneur. France, c. 1450-1470, Bodleian Library, Oxford - Job frappé par Satan et moqué par sa femme, manuscrit allemand du XVe s. (non identifié) - au-dessous : Job entre sa femme et deux démons, manuscrit bible historiale,  Utrecht C. 1430Bibliothèque Royale, La Haye - Diables torturant les damnés, MS. Douce 134 fol. 095v. Livre de la Vigne nostre Seigneur. France, c. 1450-1470, Bodleian Library, Oxford - Job frappé par le diable et moqué par se femme, gravure allemande du XVIe s. (non identifiée) - Luca Signorelli, Les damnés en enfer, détail, 1499, Chapelle San Brizio, Orvieto.

À gauche, Job sur son tas de fumier fouetté par le diable, gravure, Monogrammiste AI, 1557 - à droite, illustration de l'Office des Morts (détail), Horae ad usum romanum (Heures dites de Henri IV) XVe s. , f. 56 r, BNF


 A la fin du XVe et au XVIe siècle, les premiers livres imprimés illustrant les épisodes bibliques, ainsi que les premiers recueils de gravures, même s’ils évoluent vers davantage de réalisme, garderont l’image d’un ou de plusieurs démons tourmentant Job. Si certains artistes, comme Maarten van Heemskerck, à la suite de Michel-Ange, donnent au diable une apparence très humaine, à laquelle sont simplement ajoutées une paire de cornes, des griffes, des ailes de chauve-souris, et une queue, d’autres prolongeront les monstres médiévaux en laissant libre cours à leur imagination.

Gravure de Ph. Galle sur un dessin de Maarten van Heemskerck de 1562, Satan infligeant à Job des ulcères (l'une des huit illustrations de l'histoire de Job par Heemskerck)
Job sur son tas de fumier, gravure 15,7x11,7 cm, école d'Albrecht Dürer, 1509

Dans toutes ces représentations, les démons frappent ou griffent le corps de Job pour lui infliger les ulcères qui caractériseront son état de déchéance physique. Ils lui écorchent la peau avec leurs griffes ou avec un sarcloir, ils le couvrent d’ecchymoses en le battant avec leurs poings, avec un fouet, avec des branchages brûlants, des cordes, des chaînes, et même des serpents.

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Lorsqu’à la fin du XVIe siècle arrive le réalisme caravagesque, l’accent va être mis principalement sur l’épisode où Job, pareil à un clochard, est assis sur son tas de fumier, en but à la colère de sa femme et à l’affliction de ses trois amis Eliphaz de Théman, Bildad de Schuach, et Tsophar de Naama.
Hendrick Bloemaert (1601-1672), Job raillé par sa femme, hst 160x134cm, église Sint-Waldetrudis, Herentals, Belgique

À gauche, Rutilio Manetti (Sienne 1571-1639), Job et sa Femme, hst 142x99,5cm, vente Dorotheum 2013 - à droite, Jan Lievens (1607-1674), Job sur son fumier, 1631, hst 172x149cm, National Gallery of Canada, Ottawa

Beaucoup de ces représentations ont été faites dans le cadre d’une dévotion particulière à Job, dans des chapelles qui lui étaient dédiées. En effet Job était invoqué pour guérir les maladies de peau (notamment le mal de Naples), et on connaît une statue "miraculeuse" du XIVe ou XVe s. dans l’église St Martin de Wezemaal (Brabant), qui attirait jadis un important pèlerinage. Par ailleurs, Saint Job est devenu aussi le patron des musiciens (en concurrence avec Sainte Cécile). Cela peut paraître étrange, mais deux origines de ce saint patronage sont possibles : d’abord une référence à un passage du  « Testament de Job » (texte apocryphe du 1er siècle), où l’on voit Job jouer de la musique à la louange de Dieu et de ses servants. Ensuite une légende selon laquelle Job retirait ses croûtes, qui se transformaient en pièces d’or, pour les distribuer aux musiciens qui jouaient devant lui en vue de soulager un peu ses souffrances. Cette légende est évoquée par une gravure du Monogrammiste BOS (Michiel van Gemert ?), et par un tableau de Jan Mandyn (on en voit aussi une illustration en bas à droite du tableau Flamand en tête de l'article) :

Monogrammiste BOS, Job avec deux musiciens, 1er quart du XVIe s., gravure 9,4x7,8 cm, Ashmolean Museum
Jan Mandyn, Les épreuves de Job, c. 1540-1550, huile sur panneau de chêne, 67x141cm, Musée de la Chartreuse, Douai

Les scènes à connotation médiévale présentant des démons infligeant ses tourments à Job, auraient peut-être disparues du registre des peintres, si Rubens ne les avait pas magistralement développées dans le volet gauche d’un triptyque bruxellois de 1613 (triptyque de Job dans la détresse, église St Nicolas à Bruxelles) resté célèbre malgré sa disparition en 1695 suite à un incendie provoqué par les bombardements de la ville pendant la guerre menée par Louis XIV. Grâce aux copies qui en ont été faites, on connaît assez fidèlement, de ce triptyque, le panneau central, représentant Job entre sa femme et ses trois amis, et le volet de gauche, représentant justement Job tourmenté par les démons.

Lucas Vorsterman (d'après), Job tourmenté par les démons, gravure 38,8x26,1 cm, remise dans le bon sens (la 1ere gravure de Vorsterman est inversée par rapport au tableau de Rubens) ; d'après le panneau de gauche du triptyque de la détresse de Job, de Rubens
Atelier de Rubens, Job sur son tas de fumier, dessin 44,5x36,5 cm (inspiré du panneau central du triptyque de la détresse de Job, de Rubens), vente Christie's Londres juin 2010
Par contre le volet de droite, qui montrait le messager apportant la nouvelle des catastrophes ayant frappé sa famille et ses biens, et la scène volets fermés, représentant Job rétabli dans sa nouvelle prospérité, ne sont connus que par une mention écrite très sommaire de François Jean Joseph Mols (seconde moitié du XVIIIe s.) qui l’avait lui-même recopié d’un certain Smeyers, à partir d’un catalogue de 1640, année de la mort du peintre.

Mols écrit: « 1613 - Le fameux tableau de St Job sur le fumier dans l’église de St Nicolas de la même ville. Ce tableau, qui était compté pour un des chefs d’œuvre de Rubens, vengea celui-ci des critiques de sa Ste Anne. Il estoit en volets, le grand tableau représentoit ce St patriarche assi sur le fumier élevant une main vers le ciel, & s’ôtant de l’autre le pus qui sortoit de ses plaies avec un morceau de pot cassé, d’un côté sa femme le provoquoit & de l’autre ses amis qui tachoient de le consoler. Sur l’un des volets on voioit un mesager qui en grande hâte (wiping the sweat from his brow) vennoit anoncer à Job la destruction de ses biens, & sur l’autre on voioit Job livré à Satan qui le tourmentoit d’une étrange façon. Quand ces volets étoient fermés, on voioit Job rétabli dans ses biens. Il étoit comme sur un perron, au bas duquel, d’un côté, on lui présentoit des fruits, et de l’autre, on lui amenoit plusieurs enfants. Ce tableau seul suffissoit non seulement pour faire taire les critiques de la ville, mais tous ceux qui ailleurs tachoient a déprimer les valeurs suppérieurs de ce grand homme. Il étoit d’une telle force de coloris, d’une si grande expression de caractère que les descendant en parlent encore avec admiration. Il fut fait pour la confrérie des musiciens qui ont ce saint pour leur patron. » (in Corpus Rubenianum, Ludwig Burchard – Part III, The Old Testament, by R-A D’Hulst & M. Vandenven, 1989, Harvey Miller Publihers, p. 173).
Essai de restitution partielle du triptyque détruit de la détresse de Job, par Rubens (église St Nicolas, Bruxelles, détruit en 1695)
La scénographie générale du panneau de gauche est inspirée du martyre de St Laurent de Titien (1567), dont il s’est servi aussi pour son propre tableau représentant le supplice de St Laurent.

Dans son Job tourmenté par les démons, le visage et le corps de Job sont issus d’un dessin d’étude de personnage fait d’après nature (aujourd’hui conservé au National museum de Stockholm) :
Rubens, Homme nu penché en arrière, étude pour Job, craie noire, craie blanche, gouache, 57x44cm, Nationalmuseum, Stockholm
Les attitudes de deux des démons sont, selon R-A D’Hulst & M. Vandenven, également inspirées de dessins de personnages fait par Rubens d’après nature. Par contre les visages des diables sont imaginés dans l’esprit médiéval et rappellent les faces grimaçants des gargouilles. Ce que l’on aperçoit des membres postérieurs des deux principaux démons, qui agrippent Job, fait penser à un mixte entre des pattes de lion et des pattes de chèvre …

Ce panneau de Rubens a visiblement marqué les esprits, et on retrouvera des compositions qui s’en inspirent durant tout le XVIIe siècle. En voici quelques exemples, pris tant dans les peintures que dans les gravures illustrant l’histoire de Job.

Le prophète Saint-Job, gravure anonyme de 1641, Musée de Louvain
-    1/ Gravure anonyme (vers 1640) reproduisant un tableau disparu qui se situait dans une église de Wezemaal (Belgique) ; nettement inspirée du triptyque de Rubens de Bruxelles pour les démons et Job, à cela près qu’apparaît au premier plan un démon à pattes de satyre. Par ailleurs, la femme de Job est issue directement d’un dessin de Rubens (anciennement dans la collection C. Fairfax Murray), lui-même réinterprété d’une gravure de Tobias Stimmer de 1576 illustrant une bible (voir images ci-après).
À gauche dessin de Rubens (détail) pour la femme de Job (ancienmt collection Fairfax Murray), à droite gravure de la bible de Stimmer, qui a inspiré Rubens
Un tableau analogue à la gravure anonyme se trouvait au musée de Louvain (illustration ci-après), tous deux copiant certainement le tableau disparu de Wezemaal, qui était peut-être de la main de Rubens.
Anonyme seconde moitié du XVIIe s., Job tourmenté par les démons et moqué par sa femme, hst 118x205cm, Musée de Louvain


Michel Lasne, illustration du "livre de Job paraphrasé", 1641, gravure
-    2/ Illustration du graveur français Michel Lasne (ancien élève de Rubens), faite pour « Le livre de Job paraphrasé », par l’abbé Nicolas Guillebert (1641). La mise en scène générale rappelle celle de Rubens ; le démon du premier plan a des pattes de satyre (on sait que beaucoup de représentations chrétiennes ont donné au diable l’image antique du dieu Pan) ; il est directement inspiré de la gravure anonyme précédente. Lasne ajoute un peu de pittoresque en dessinant un diable volant pourvu de seins et d’un arrière-train de serpent, probablement inspiré d’une illustration de la lèpre reprenant l’image d’un Job tourmenté, dans un livre de médecine de la première moitié du XVIe s. (Le "Feldtbuch der Wundartzney" de Hans von Gersdorff, 1517).
Job tourmenté par le démon et moqué par sa femme, gravure anonyme, 1517, in Feldtbuch der Wundartzney, Hans von Gersdorff


Anonyme, Job tourmenté par le diable, panneau de polyptyque, 152x63cm, abbaye d'Averbode, XVIIe s.
-    3/ Panneau d’un polyptyque de l’abbaye d’Averbode, montrant Job tenu d’une main par un démon qui brandit un serpent dans son autre main ; ce démon est directement inspiré de celui qui tient la tête de Job dans triptyque perdu de Rubens (voir plus haut la gravure de Lucas Vorsterman).


Anonyme, Job tourmenté par les démons, nommé à tort "Satyres poursuivant le temps", huile sur bois, 50x30cm, vente Tajan mars 2017
-    4/ Petit panneau d’esquisse, anonyme XVIIe s., montrant Job harcelé par deux démons. Celui du premier plan à gauche rappelle les diables aux pieds de satyres des gravures 1/ et 2/… Mais il a perdu ses ailes, et ressemble tellement à un satyre que l’expert de vente, sans doute distrait ce jour-là, a nommé la peinture « Satyres poursuivant le temps » (sic) ! Le second démon, ainsi que le personnage de Job, rappellent fortement ceux du panneau de l’abbaye d’Averbode (3/ ).


Andrea Sacchi, Job tourmenté par le diable, collection Coldiretti, Palazzo Palavicini-Rospigliosi, Rome
-    5/ Tableau d’Andrea Sacchi, peintre romain, dans les collections du Palais Pallavicini Rospigliosi (Rome), montrant Job tourmenté par un démon. La composition rappelle  celle du panneau d’Averbode (3/) ; toutefois l’attitude de Job est plutôt proche de celle d’un tableau d’Antoon van den Heuvel (1600-1677) représentant Job entre sa femme et ses amis (ci-après, très inspiré du panneau central du triptyque perdu de Rubens). Van den Heuvel, peintre de Gand, a travaillé à Rome où il a pu rencontrer Sacchi, son exact contemporain.
Anton van den Heuvel, Job sur son tas de fumier invectivé par sa femme, 275x200cm, église Saint-Job, Belsele, Belgique


Francesco Rosa, Job moqué par sa femme, hst 214,5 x 146cm, vente Dorotheum octobre 2012
-    6/ Tableau de Francesco Rosa (peintre génois ayant aussi travaillé à Venise, 1635 ?- 1710 ?) représentant Job raillé par sa femme ; Satan apparaît dans l’ombre derrière lui, mais davantage comme l’orchestrateur de sa déchéance que comme son tortionnaire. La composition générale reste inspirée de celle de Rubens.

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Pour finir, laissons Rubens et son influence, et tournons nous vers une étrange figure du romantisme du début du XIXe siècle, qui renouvelle totalement l’iconographie de Job ; il s’agit du peintre et poète William Blake. Son « Job » est un poème illustré de vingt-deux planches, publié en 1826, soit un an avant sa mort. Son style est si personnel qu’il ne peut être rapproché d’aucun antécédent, même si lui se réclamait de Giulio Romano, Raphaël, et Miche-Ange. On pourra trouver sur Internet l’intégralité des illustrations du poème. Pour ma part, je m’en tiens à l’image qui montre Job tourmenté par Satan :
William Blake, Satan déversant des boutons sur tout le corps de Job, gouache 1826-27, illustration de Job - 2, 7.

Chez Blake, c’est clairement Satan qui est le personnage principal ; un Satan rayonnant, nu, jeune et beau, libéré de tous les attributs maléfiques et monstrueux hérités du Moyen-âge. Même les ailes de chauve-souris, indispensables pour le reconnaître, sont ici converties en une sorte de cape théâtrale. Blake, qui toute sa vie a été pauvre et non reconnu, identifiait, semble-t-il, son destin à celui de Job… C’est peut-être le lot de tous ceux qui tirent le diable par la queue, et ne récoltent au bout du compte que des plaies, à l’image de Job l'infortuné !

mercredi, mars 22, 2017

Sur un chemin qui ne mène nulle part

Gilles Chambon, Sur un chemin qui ne mène nulle part, huile sur toile, 53,5 x 64,5 cm, 2017
Dans ce tableau synchronistique, ma colonne de marcheurs est empruntée à une gravure de la série des Désastres de la guerre, de Francisco Goya, (estampe N° 70 « Ils ne connaissent pas le chemin »), tandis que le paysage vient d’un tableau de Pedro Marcos Bustamante (1921-2001) titré « Horizontes ». 
Cette cohorte somnambulique, venant d’on ne sait où et errant dans une sierra désolée,  évoque sans doute la parabole des aveugles.

Elle me fait aussi penser aux Chemins qui ne mènent nulle part, recueil de textes de Heidegger (publié en 1950), dans lequel il estimait que les philosophes avaient fini par nous conduire dans l’impasse,  leur réflexion s’étant fourvoyée sur les chemins de la métaphysique et des systèmes rationnels, qui ne mènent nulle part, dans la mesure où ils évacuent la transcendance de l’être.

La question du chemin serait moins sa destination, que le plaisir que nous pouvons avoir à l’emprunter. Il en est ainsi de la vie de chacun, qui, au bout du compte ne mène nulle part ailleurs que dans le tombeau… 
Les hédonistes profitent de la beauté du chemin, tandis que les croyants oublient le paysage et suent sang et eau dans l’espoir d’arriver à une destination que leurs aïeux ont inventée. C'est que la plupart d'entre nous gardent au plus profond d'eux-mêmes cette parcelle de naïveté enfantine (à moins que ce ne soit de la clairvoyance) qui les pousse irréfragablement à croire à l'utopie... et à rechercher le meilleur des mondes au bout des sentiers les plus improbables.

dimanche, mars 05, 2017

Prométhée supplicié

Gilles Chambon, Prométhée supplicié, huile sur papier, 21x26cm, 2017
Comme tous les grands mythes, celui de Prométhée a nourri au fil des siècles de multiples interprétations, souvent contradictoires, démontrant par là même le caractère nécessairement ambivalent de l’imagination mythologique.
Je renvoie le lecteur à l’article très complet de Robert C. Colin « Le mythe de Prométhée et les figures paternelles idéalisées » in Topique N° 84, Mythes et anthropologie, l’Esprit du temps, 2003.

Prométhée (littéralement celui qui réfléchit avant) est un Titan érudit, initié à toutes les sciences par Athéna. Ému du sort très fruste des hommes, il dérobe le feu dans les forges d’Héphaïstos pour le leur donner, malgré l’interdiction de Zeus. Ce dernier, furieux contre sa désobéissance et contre la témérité des humains, enchaînera Prométhée sur le Caucase, et enverra chaque jour un aigle dévorer son foie, qui se régénère chaque nuit.
Quant aux hommes, il les placera face aux conséquences de leur audace, en utilisant Epithémée (littéralement celui qui réfléchit après), l’un des frères de Prométhée : il lui donne en effet pour épouse Pandore (littéralement celle qui a tous les dons), première femme créée,  image de la perfection - fabriquée par Héphaïstos, et il lui offre en dote une jarre mystérieuse qu’il recommande de ne pas ouvrir (en fait, cette jarre contient tous les maux propres à affliger les hommes : vieillesse, maladie, guerre, famine, misère, folie, vice, tromperie, passion, orgueil…). Évidemment la première femme est curieuse et ouvre la jarre, répandant sur les humains tous les malheurs avec lesquels ils doivent vivre depuis.

Que d’analogies avec l’histoire d’Adam et Eve, et que de points communs entre Prométhée  enchaîné au rocher, le flanc droit déchiqueté par le bec du rapace, et le Christ en croix, au flanc droit transpercé par une lance ! J’avais déjà fait d’ailleurs un parallèle entre la figure de saint Sébastien et celle du Christ. Mon Prométhée a donc encore une fois cette dimension christique, dans laquelle la fragilité humaine investit le  corps du dieu ou du titan.

J’ai utilisé trois sources pour composer mon Prométhée supplicié :

- Un dessin de Raphaël : il s’agit d’une étude de buste, pour une Descente de croix (peut-être le buste du Christ, ou celui d’un des voleurs – 1505-1506, conservé au Metropolitan Museum of Art, New York).
Raphaël Sanzio, dessin d'étude, 1505-1506, Metropolitan Museum of Art, N Y

- Un dessin à la plume de Frans Snyders : l’aigle vient en effet d’une étude réalisée pour le très célèbre tableau représentant Prométhée supplicié, auquel il a collaboré pour Rubens (1611-1618, Philadelphia Museum of Art) ; le dessin de Snyders date de 1612 et se trouve dans les collections du British Museum
Frans Snyders, étude pour Prométhée supplicié, British Museum, Londres


- une peinture de Jean Cotté (né en 1931) : le paysage est réinterprété d’une composition intitulée "A Wagner" (technique mixte sur toile, 1986, , 81 cm x 65 cm). Peintre de l’abstraction lyrique, Jean Cotté a créé sur sa toile une sorte de paysage romantique évoquant Wagner, en utilisant des partitions musicales du maître de Bayreuth, collées dans la peinture.
Jean Cotté, À Wagner, technique mixte sur toile, 81 x 65 cm, 1986, localisation inconnue