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samedi, août 28, 2010

La Grande Poste d’Alger

Alger, la Grande Poste, huile sur toile, G. Chambon, 2010

Si un monument devait symboliser la ville d’Alger, ce serait certainement encore sa Grande Poste, située à la rencontre des rues Didouche Mourad et Larbi Ben Mehidi, les axes les plus commerçantes du centre ville.

C’est bien sûr un édifice qui date de la période coloniale, et cela peut paraître incongru et déplacé de qualifier une œuvre des anciens occupants de symbole de la capitale d’un pays indépendant. Mais l’imaginaire se construit souvent en dépit ou à l’encontre des valeurs politiques et morales : le Sacré Coeur à Paris, monument expiatoire stigmatisant les communards, ou même le Colisée à Rome, où se livraient des combats mortels et où l’on se repaissait du spectacle des martyrs, n’en sont pas moins devenus des monuments incontournables, des signes de reconnaissance universels, emblèmes des capitales qui les ont bâtis.

C’est que les grands édifices participent à construire un site, un paysage urbain, et, dans ce sens, l’attention que leurs architectes ont portée à l’esprit du lieu dépasse de loin la simple contingence de la fonction des bâtiment, ou les circonstances politiques de leur édification. Il ne s’agit pas d’éluder l’histoire et la connaissance des faits, mais de reconnaître qu’il peut y avoir dans une œuvre architecturale autre chose que la conséquence mécanique des circonstances de son édification. 

Et pour la grande poste d’Alger, construite en 1910-13 en style néo-mauresque, par un architecte pied-noir algérois peu connu, Jules Voinot, et un architecte toulonnais plus renommé, Marius Toudoire (auteur notamment des gares de Lyon à Paris, Saint-Jean à Bordeaux, Matabiau à Toulouse), nul doute que la portée urbaine de la réalisation dépasse de loin le symbole colonial.
D’ailleurs il s’agit à l’époque, pourrait-on dire, d’un colonialisme à visage humain, puisque l’instigateur du style néo-mauresque, le Gouverneur Général Jonnart, souhaitait rapprocher les cultures française et autochtone, en faisant de cette dernière une source d’inspiration obligatoire pour les édifices publics. On pourra évidemment arguer que le néo-mauresque plaque un décor factice sur des bâtiments dont la structure spatiale découle directement de la culture occidentale du XIXe siècle. Mais ce serait caricaturer la réalité : il n’est en effet pas si simple de dissocier le décor de la structure. Et si l’organisation des espaces et les techniques de construction dans ces édifices, utilisant le fer pour tenir les coupoles, n’ont effectivement rien avoir avec la culture mauresque, certains aspects de leurs volumétrie extérieure et intérieure, la répartition des masses décoratives, la façon dont la lumière pénètre dans les espaces principaux, tous ces points, et d’autres encore, qui font partie intégrante de l’architecture, s’inspirent directement de la culture ottomane qui prévalait à Alger à l’arrivée des Français.

Le rêve de Jonnart d’une cohabitation coloniale heureuse était bien sûr une chimère, comme l’a montré l’histoire du XXe siècle, jusqu’au massacre de la rue d’Isly (rue Larbi Ben Mehidi) en mars 1962. Mais le privilège de l’architecture sur la politique est de pouvoir réaliser et pérenniser des chimères, de faire des bâtiments qui harmonisent dans leur forme le rêve et la réalité de cultures différentes, comme la chimère antique, qui avait une tête de lion, un corps de chèvre, et une queue de serpent.

mercredi, août 11, 2010

Le territoire des vacances

La maison de Louis, Foncervines, gouache de G. Chambon

Il est certains endroits de France que l’agriculture a peu à peu abandonnés, parce que trop escarpés, trop isolés, trop boisés et trop pierreux, et dont les maigres hameaux, vides onze mois par ans, retrouvent pourtant au mois d’août une vie et une convivialité qui leur rappelle le temps où les va et viens pour les travaux des champs et le pacage des bêtes, la cuisson du pain au four banal, ou encore le puisage de l’eau des sources, animaient l’unique rue du village.

C’est le cas à Foncervines, commune de Cardaillac, qui rassemble derrière une crête séparant le Ségala du Limargue, à l’abri des vents du nord, une petite douzaine de vieilles maisons de pierre remises en état par les nouveaux occupants, pour la plupart citadins descendant d’authentiques Foncervins. Certains racontent les souvenirs de leur enfance, l’histoire trouble d’une aïeule, on visite la chambre où est née la grand-mère de celui-ci, on devise sur la maison d’un autre, décédé depuis plusieurs années, et qui reste désespérément vide. À l’apéritif, on évoque la plus vieille bâtisse du hameau, dont la construction remonte au moins au XIVe ou XVe siècle, et qui malheureusement se ruine peu à peu. On parle aussi de ces Témoins de Jéhovah installés là depuis quelques décennies, et qui finalement vivent comme tout le monde.

Les vacanciers jardinent beaucoup et les fleurs n’étaient sans doute pas si belles du temps des paysans qui n’avaient cure du décor. Mais c’est là un des paradoxes de la beauté du monde aménagé par les hommes : elle ne s’épanouit parfois pleinement qu’une fois disparus les usages qui avaient créé les formes, lorsque celles-ci se sont détachées de leur valeur pratique première, pour être investies du mystérieux pouvoir rémanent des choses disparues.