présentation des peintures synchronistiques

samedi, août 30, 2008

Le paradis perdu de l’art


J’ai visité récemment l’abbaye de Cadouin en Dordogne. Beauté enracinée dans le terroir, cloître magique, variation médiévale – parmi des milliers d’autres en Europe, sur un modèle d’espace qui remonte à l’Antiquité, et dont la prégnance sur l’esprit humain n’a rien perdu de sa force envoûtante.
Pourquoi un petit carré d’espace clos, d’à peine 400m2, a-t-il tant de puissance ? Est-ce parce qu’il exprime le recueillement et la paix de la vie monastique ? Est-ce parce que les sculptures qui se déploient sur les colonnes, chapiteaux, et clefs de voûtes nous replongent dans un imaginaire paradoxal, à la fois naïf et magistralement maîtrisé ? Est-ce à cause de quelque secret géométrique, qui guiderait les entrelacs des remplages et engendrerait d’emblée une empathie avec la nature et la vie, dans ce qu’elles ont de plus plaisant pour l’esprit humain ? Est-ce enfin parce que le cloître est l’archétype du jardin clos, entouré de murs, qui correspond au paradis terrestre décrit dans la Genèse ?
Le mot paradis, d’origine perse (en hébreu pardès et en grec paradeisos), signifie d’ailleurs jardin fermé.

Tout le mystère pour l’attirance des formes d’art du passé est en tout cas ici concentré. Et on en vient à se demander si le cloître, comme essai de recréation du paradis terrestre, n’est pas le paradigme de la plupart des arts d’avant le XXeme siècle qui, en cherchant la beauté, le raffinement, et la résonance avec les formes naturelles, voulaient coûte que coûte recréer artificiellement le paradis perdu.

Chaque fois que dans le monde apparaît, ça ou là, un havre de paix ; chaque fois qu’un îlot de beauté émerge du brouillard triste de nos vies ; chaque fois qu'entre les bousculades de nos villes s’ouvre une oasis de douceur ; chaque fois que le silex poudreux des bords de route recèle une géode de cristaux scintillants ; chaque fois, notre imaginaire ressent comme une émanation de l’âge d’or ; comme un fragment d’Essence encore intact des vicissitudes de l’évolution ; comme une sorte d’état de nature, resurgissant toujours malgré l'éloignement. Quelque chose de si enraciné dans le passé mythique, qu’elle semble planer hors du temps.

L’art actuel a totalement oublié cette dimension intemporelle parce qu’il ne croit ni à l’en deçà, ni à l’au-delà du présent. C’est un art de la contemporanéité, auto-référencé, tandis que les arts anciens, toujours avides de récits antiques et de mythologie, lançaient les ponts du rêve vers ces temps disparus, vers cette mémoire sourde, abyssale, qui nous relie à la nature, aux ancêtres, aux dieux, et à tous ces paradis disparus, réels ou imaginaires, qui battent pourtant encore si fort en nous.

samedi, août 16, 2008

VILLE ET CAMPAGNE

"Villa des nuées", aquarelle de G.C.




La pensée unique, qui fait florès dans le domaine de l’urbanisme, est aujourd’hui concentrée autour du phénomène de l’étalement urbain, grand épouvantail pour les idéologies (surtout de gauche mais aussi de droite) influencées par l’écologie. Le rêve de la maison avec jardin serait une perversion de la société de consommation, responsable de la pollution automobile, du gaspillage d’énergie, et du déséquilibre de la biosphère. La vie en pavillon détruirait les liens sociaux, refermerait chacun sur la micro-cellule familiale, et engendrerait un individualisme délétère.

Outre que la plupart des intellectuels qui pourfendent l’étalement urbain et le pavillon ont un appartement agréable et une maison de campagne pour les week-ends, ils ont à mon avis un siècle de retard. La ville à l’intérieur de ses remparts (où de son autoroute périphérique) a vécu. La campagne faite de fermes isolées, de villages et de champs a vécu également. L’opposition des paysans et des urbains est une chose du passé. Je gage que l’avenir sera fait de producteurs agricoles, concentrés sur de grandes propriétés qui occuperont peut-être au maximum 1/20 du territoire, et de micro agriculteurs rurbains, qui se multiplieront et développeront du maraîchage sur de petites surfaces pouvant s’inscrire dans un tissu rurbanisé, et dont la production sera vivrière ou destinée aux marchés locaux. Et si 40% du territoire deviendront – il faut l’espérer, des zones naturelles préservées à caractère sauvage, les 40% restant seront dévolus à la ville et à la campagne rurbanisée. La distinction entre ville centre et banlieue s’estompera, la ville centre se dédensifiant en partie pour accueillir plus de jardins, les villes moyennes prenant aussi plus d’importance.

La rurbanisation est aujourd’hui mal ressentie parce qu’elle s’est développée sans organisation, et a produit ce que l’on a coutume d’appeler le mitage, qui a abondamment enlaidi nos paysages. Mais la rurbanisation peut – et doit, prendre des formes plus cohérentes et plus imaginatives, qui, si on s’en donne les moyens, pourront créer un paysage nouveau plein de charme et de qualités, intégrant les fragments les plus intéressants préservés des époques passées, et apportant de nouvelles structures en harmonie avec le paysage végétal.

Mais, diront les chantres de la densité, un tel système promouvra la voiture individuelle, qui asphyxie aujourd’hui nos villes et leur banlieue. Là aussi il faut voir plus loin, et ne pas opposer systématiquement transports collectifs et transports individuels. Je pense que la mobilité des gens ne se ralentira pas, et c’est heureux. Le repli et l’isolement n’ont jamais été de bonnes choses. Donc toutes les formes de transport, collectives et individuelles, sont amenées à se développer. Le progrès sera de les faire moins polluants et moins bruyants, et je parie que la crise pétrolière va bien accélérer les choses.

Quant au lien social, ceux qui prétendent que la vie en pavillon replie les gens sur eux-mêmes, n’y ont sans doute jamais vécu. Il est beaucoup plus facile de nouer de bonnes relations de voisinage quand il y a un jardin ; aux beaux jours, les gens sortent et se parlent en jardinant, les enfants jouent les uns chez les autres et ne sont pas comme en appartement, scotchés devant la télé (ou ils le sont moins) ; on s’échange les légumes et les fruits, on s’invite aux barbecues. La convivialité est plus facile parce que l’espace et les jardins sont une sorte d’huile qui fluidifie les rouages sociaux, en diminuant les nuisances dues à la promiscuité et à l’exiguïté des appartements.

L’espace est effectivement un luxe, et la nature aussi ; et les intellectuels urbanistes nantis (c’est une image) voudraient refuser ce luxe au peuple. En réalité le mode de vie positif en appartement est réservé, et le sera aussi dans l’avenir, à ceux qui ont les moyens d’avoir un grand appartement et la possibilité d’en sortir le week-end pour gagner la campagne. Vivre en appartement est, et restera, un modèle culturel apprécié surtout par la bourgeoisie aisée (à laquelle appartiennent, je crois, la plupart des penseurs de l’urbanisme). Il y a bien sûr aussi les jeunes (étudiants ou couples sans enfants) qui sortent beaucoup, et ont un mode de vie adapté à l’appartement, quelle que soit leur classe sociale. Dans les écoles d’architecture où l’on élabore les modèles d’habitat de demain, ces mêmes jeunes rencontrent les professeurs qui appartiennent à la catégorie précédente (je caricature à peine) ; rien d’étonnant alors qu’ils rêvent d’habitat dense, avec tours, et s’élèvent de concert contre l’étalement urbain.

Mais soyons juste : il est vrai qu’aujourd’hui l’étalement urbain résultant de l’urbanisation de la fin du XXe siècle pose de graves problèmes de pollution, gaspillage, engorgement des villes centre, etc. ; et il paraît logique d’essayer de maîtriser le processus, sans doute de le ralentir, en tout cas de l’organiser. Mais pour cela, il faut y croire. Comment organiser une chose que l’on rejette et que l’on voudrait voir disparaître ? C’est pourquoi je pense que s’attaquer au problème de l’étalement urbain ne consiste pas à lui opposer un modèle de ville dense, mais au contraire à lui trouver un vrai modèle positif de développement et d’organisation.

Le modèle pavillonnaire tant décrié a selon moi un avenir, et peut générer des formes rurbaines intéressantes (en allant au-delà du modèle de la maison en bande, adaptée à la culture anglo-saxonne, mais qui est trop souvent considéré comme la panacée par les architectes confrontés au lotissement). Si d’ailleurs le pavillon reste le type d’habitat préféré de la majorité des gens du peuple, c’est parce qu’ils ont sans doute instinctivement mieux compris leur intérêt que les urbanistes qui prétendent les défendre.

Mais peut-être en définitive cela n’est-il qu’un problème de divergence des imaginaires (structurés pour chacun de nous dans la petite enfance) : j’ai pour ma part, étant enfant, vécu en banlieue parisienne, successivement dans deux pavillons; et j’en garde un excellent souvenir.