présentation des peintures synchronistiques

lundi, mars 31, 2008

LES QUATRE CAVALIERS DE L'APOCALYPSE

Les quatre cavaliers, huile 130x81, 2008, à découvrir jusqu'au 28 mars à Toulouse, Galerie Can'Art (voir article précédent)

L’apocalypse de Jean, rédigée vers 60 après J-C, a marqué et marque toujours l’imaginaire du monde chrétien ; le texte utilise de nombreux symboles renvoyant aux récits vétérotestamentaires et à la numérologie, et qui ont pour but d’interpréter les événements liés à cette période du premier siècle, en particulier la domination romaine, dans l’attente imminente d’une fin des temps et du jour du jugement dernier. Ainsi, par métonymie, « apocalypse », qui signifie en grec « dévoilement », en est venu pour le plus grand nombre, à signifier « cataclysme de fin du monde ». Ambivalence d’un texte qui « dévoile » en voilant par des symboles et des nombres,et dont l’analyse eschatologique, basée sur l’interprétation des guerres et des catastrophes, peut évidemment s’appliquer à n’importe quelle période historique, la violence des conflits, le poids des maladies et des misères diverses qui accablent l’humanité, étant malheureusement une constante dans le déroulement de l’histoire depuis 2000 ans.

Chaque époque peut donc à loisir illustrer le propos apocalyptique avec les ingrédients de son propre temps.
S’agissant des quatre cavaliers, qui sont des porteurs de guerre, ils personnifient :

- qui la conquête et le joug (« Je regardai, et voici, parut un cheval blanc. Celui qui le montait avait un arc; une couronne lui fut donnée, et il partit en vainqueur et pour vaincre »),

- qui la guerre et ses massacres (« Et il sortit un autre cheval, roux. Celui qui le montait reçut le pouvoir d'enlever la paix de la terre, afin que les hommes s'égorgeassent les uns les autres; et une grande épée lui fut donnée »),

- qui la famine et dureté des conditions matérielles (« et voici, parut un cheval noir. Celui qui le montait tenait une balance dans sa main. Et j'entendis au milieu des quatre êtres vivants une voix qui disait: Une mesure de blé pour un denier, et trois mesures d'orge pour un denier; mais ne fais point de mal à l'huile et au vin »),

- qui enfin la mort (« et voici, parut un cheval d'une couleur blême. Celui qui le montait se nommait la mort, et le séjour des morts l'accompagnait »).

Les cavaliers ont surtout été représentés au moyen âge (commentaire de l’apocalypse de Beatus de Liébana, apocalypses peintes de Trèves et de Bamberg, tapisserie d’Angers…), mais c’est la célèbre gravure de Dürer qui reste l’illustration la plus marquante du texte de Jean. Le XXe siècle, siècle millénariste par excellence, a vu revenir ce thème, mis en musique par Messiaen et par Pierre Henry, et transposé à l’écran par Vincente Minnelli.


Gravure de Dürer représentant les quatre cavaliers




Je ne sais si la fin des temps aura lieu au XXIe siècle, mais reconnaissons que les moyens d’extermination dont dispose l’homme moderne sont enfin à la hauteur de cette funeste tâche.

Mes quatre cavaliers respectent l’ordre et les attributs de chaque cavalier tels que les décrits Saint Jean, et leur harnachement guerrier, ainsi que la ville à l’arrière plan, renvoient aux temps prémodernes. Mais ils font cependant allusion à notre histoire apocalyptique contemporaine : ce sont en effet des samouraïs, et l’apocalypse moderne a, de toute évidence, commencé au Japon, à Hiroshima et Nagasaki. Et si dans ce contexte, la mort est une japonaise, les trois cavaliers mâles ressemblent étrangement à Albert Einstein, Niels Bohr, et Robert Oppenheimer, les pères de la bombe atomique.

lundi, mars 24, 2008

Hiérophanie buissonnière


Exposition de peintures à la galerie Can’Art, à Toulouse

Je revisite depuis plusieurs années – comme les habitués de ce blog le savent – les sujets de la peinture classique, notamment les thèmes religieux ou mythologiques. Ces toiles constituent ma « hiérophanie buissonnière », et je m’efforce d’y faire rimer humour et poésie, en télescopant les références aux toiles de maîtres, les clins d’œil au monde contemporain, et l’imaginaire urbain auquel je reste très attaché.

Ma technique est toujours celle de la peinture à l’huile traditionnelle, minutieuse, avec une expression qui se veut à la fois réaliste et onirique, en hommage aux peintres surréalistes, aux védutistes du XVIIIe siècle, et aux maîtres de la Renaissance.

Je présente également dans cette exposition à Toulouse mes petites huiles sur papier au dessin plus libre, illustrant les symboles mythologiques universels : signes astrologiques, quatre éléments, muses, etc…

j'espère que vous viendrez nombreux

Gilles Chambon

samedi, mars 15, 2008

Réflexions inspirées par le dernier livre de Jean Clair, « Malaise dans les musées »












Le 14 octobre 2007, signature du contrat Louvre Abou Dhabi ; de gauche à droite, Jean Nouvel, Henri Loyrette, Mubarak al-Muhair, Renaud Donnedieu de Vabres et Cheik Sultan Bin Tahnoun.


L’énigme de la colonisation, huile sur toile, 100x73cm, G. Ch. 2004

Dans ce petit livre, Jean Clair s’indigne de la vente de la marque « Louvre » à Abou Dhabi, et de la marchandisation de facto que cela entraînera pour certaines parties des collections des musées français. L’œuvre d’art semble avoir perdu sa dimension fondamentale de rapport au Sacré, pour s’assimiler de plus en plus à un vulgaire produit commercialisable.

Le rapport au Sacré, nous dit Jean Clair, c’est depuis toujours la façon de ressentir, de contempler, et d’intégrer le numineux aux grandes régulations sociétales. Le numineux, c’est tout ce qui renvoie aux énergies intangibles, ce sont ces forces et ces choses qui signifient et agissent sur nous en dehors de banales explications rationnelles ou matérialistes. Les religions sont nées de cette nécessité de réguler la relation au Sacré, mais elles ne sont qu’une façon parmi d’autres de traiter ce lien fondamental au supranaturel.

Il y a dans notre monde occidental contemporain, champion de la liberté individuelle (donc du libre arbitre et de la pensée sans tabou) une vraie crise de la gestion institutionnelle du Sacré. Cette gestion est en effet aujourd’hui soit réduite à la portion congrue du dimanche à la messe, soit totalement refoulée, soit dévoyée vers des pratiques individuelles superstitieuses, coexistant avec une pensée globalement tributaire du rationnel (ce qui entraîne une sorte de schizophrénie). Mais encore et surtout, elle est de plus en plus remplacée par une sacralisation collective et obsessionnelle du ludique, c’est-à-dire de l’inverse du numineux. Toutes les formes de star system, de footballomanie, sont significatives de ce phénomène mondial qui marque notre temps : le désir de foi partagée et de rituel collectif s’est cristallisé non plus sur le divin (le transcendantal des religion), mais sur le surhumain ordinaire, mondain, sur la magie que représentent pour les foules les humains au charisme ou aux dons exceptionnels. Foi et adulation se confondent ; non pas idolâtrie comme dans les temps anciens où certains croyants confondaient le divin avec sa représentation matérielle, mais véritable dévotion envers des humains semblables à nous, donc, en définitive, envers nous-mêmes, envers la mise en scène de notre propre possible réussite matérielle, de notre fantasme de force collective.
Le sacré n’est plus un monde à part, transcendant, mais une contrée particulière du monde profane. Ce n’est plus un sommet élevé d’où l’on communique avec le ciel, au risque d’être anéanti par le feu divin, mais une simple colline d’où l’on contemple avec délectation, comme au-dessus de la mêlée, la populeuse plaine humaine et ses marécages.
Evidemment, les médias et leur exceptionnelle expansion depuis un siècle, sont à l’origine de ce renversement : chaque soir, la comédie humaine est maintenant présentée et mise en scène en temps réel sur le petit écran. L’espace virtuel de la télévision, qui pénètre chaque foyer, devient cette sorte d’espace sacramentel, pseudo divin, où sont élus les demi-dieux humains dans lesquels chacun rêve de se reconnaître. Le paradis, qui, dans la plupart des religions, était promis après la mort – c’est-à-dire hors de la matérialité humaine et du monde géographique, fait son retour sur terre et devient accessible à chacun, ou, au pire, à ses enfants, pourvu qu’ils sachent manœuvrer et se propulser en haut de la scène médiatique.

Et une autre vérité nouvelle se fait jour : la réussite médiatique attire l’argent et l’argent attire la fascination médiatique ; César et Dieu se confondent ; on n’essaie plus désespérément d’acheter, comme au moyen âge, l’indulgence divine à un intercesseur clérical plus ou moins véreux, mais on compte sur le pouvoir magique de la fortune pour attirer le divin, pour le susciter, le produire. Ou, à l’inverse, on pense que la chance médiatique nous apportera la richesse, qui témoignera alors aux yeux de tous de notre pseudo divinisation.
Le sacré contemporain a donc ceci de nouveau qu’il se gagne avec de l’argent, et qu’il produit de l’argent.

Et l’Art, là-dedans, me direz-vous ? Et bien voilà : comme le rappelle Jean Clair, il fut jadis un acte de ferveur, dirigé vers Dieu ou vers la beauté (J. C. rappelle cette phrase des Confessions de Saint Augustin : « Pour les interroger {les créations divines qui assaillent nos sens}, je n’avais qu’à les contempler et leur réponse, c’était la beauté. »). Aujourd’hui, l’art est devenu un acte de ferveur à soi-même, ou la démonstration d’une capacité, d’une prétention de chaque artiste impétrant à être starisé, divinisé selon le rituel de la sacralité médiatique. On admirait autrefois les œuvres d’art parce qu’elles renvoyaient à une transcendance, on admire aujourd’hui les objets d’art contemporain parce qu’ils renvoient à la personnalité divinisée – ou simplement héroïsée – d’un artiste.
Jean Clair, toujours en matière d’art, traduit ce phénomène de profanation progressive du Sacré – ou plutôt de profanisation –, par la dégradation, observable depuis le XVIIIe siècle, du culte en culture, puis, à la fin du XXe siècle, de la culture en « culturel », ce dernier avatar confondant et assimilant enlightenment à entertainment.
S’il est légitime, à mon sens, de dénoncer l’abandon en art de toute valeur de transcendance, au profit de valeurs spectaculaires, mondaines, et de marketing culturel, il est néanmoins nécessaire de nuancer le tableau. La dérive ludique et médiatique de l’art n’a pas fait disparaître toute transcendance. Beaucoup de ceux qui choisissent le chemin de l’art le font encore au nom de la ferveur poétique, qui est la forme moderne de rapport à la transcendance. Cette ferveur individuelle, libre de toute contrainte collective, sans cadre théologique ni contrat moral envers les institutions, peine évidemment à se stabiliser sur une expression et un message audible par un large public. D’où cette impression de confusion qui ressort de tous les salons de peinture et foires internationales d’art, et la tentation pour les artistes de se raccrocher à la seule demande identifiable, celle qui est formalisée par les relais des critiques d’art et des médias ; elle fait, hélas, le plus souvent basculer la poésie dans la performance, la sensibilité dans le sensationnel, et le savoir-faire artistique dans l’habileté médiatique.