présentation des peintures synchronistiques

vendredi, février 29, 2008

Les lieux magiques

Les parapluies d'Udji, huile sur toile, Gilles Chambon, 2002
Chacun a ses lieux magiques. Rêvés ou réellement croisés, certains lieux de la planète ont en effet un pouvoir particulier sur notre imaginaire personnel. Les rencontres que nous avons eu avec tel ou tel paysage, ou ce que nous en avons imaginé, ont laissé en nous des traces et des sentiments qui ont quelque chose de commun avec ceux que laissent les histoires d’amour : désir, mystère, espoir, impatience, plaisir, jubilation, bien-être, regrets, nostalgie, chagrin…
Ces lieux magiques peuvent appartenir aux joyaux du patrimoine mondial, aux hauts lieux du tourisme international, mais ils peuvent aussi, plus modestement, être des sites tout à fait banals, dont nous seuls connaissons l’intensité et la grandeur, parce que le destin nous y a conduit dans des circonstances particulières, et qu’il nous a ainsi permis d’en découvrir les facettes cachées, les attraits secrets et exceptionnels, malgré un abord quelquefois rébarbatif.
Il y a ceux qu’on ne connais pas mais qu’on nous a racontés, et qui nous attirent si fortement qu’ils seront sans doute la destination d’un prochain voyage ; il y a aussi ceux que l’on connaît dans leurs moindres recoins - parce qu’on les fréquente régulièrement, et qu’on a hâte de retrouver chaque jour, chaque semaine, ou chaque mois ; il y a ceux que l’on a croisé une seule fois et où on s’est juré de retourner un jour ; et puis il y a ceux d’avant, ceux de l’enfance ou de l’adolescence, ceux qui appartiennent à un temps révolu, et où on peine à revenir, parce que l’on sait qu’ils se sont transformés, et que la déception de les voir à jamais défigurés sera pour nous un choc insupportable.
Pour la plupart, partir en vacances, c’est aller à la rencontre de l’un de ces lieux magiques. C’est un peu comme une aventure amoureuse, parce qu’on fait une infidélité à l’espace dans lequel nous vivons quotidiennement, celui auquel nous nous sommes amarré, bon gré mal gré, pour passer l’essentiel de notre existence. Mais nous savons que l’aventure n’a pas de véritable avenir, et qu’il faudra très bientôt retourner vers le cadre familier de nos activités. Alors nous essayons de rapporter avec nous un peu de l’essence magique de ces espaces qui se sont offert à nous le temps d’une escapade : avec des photos bien sûr, mais aussi avec des objets-souvenirs, qu’on choisit en recherchant le maximum d’authenticité, pour en garantir le pouvoir magique. Mais les peintres ont plus de chance encore, parce que leur art leur permet de produire des objets magiques beaucoup plus puissants. En témoigne cette peinture d’Udji, près de Kyoto, qui maintient depuis plusieurs années le lien mystérieux qui me relie au pays du soleil levant.

samedi, février 16, 2008

LA TOUR DE BABEL

"La tour de Babel",G. Chambon, huile sur toile, 66x74cm, 2008
Tout le monde connaît le mythe de la tour de Babel : une immense ziggourat lancée à l’assaut du ciel, acte fondateur qui symbolise la propension humaine impérialiste à conquérir la terre et les cieux. Puis l’échec survenu en raison d’une séparation des langages, et donc d’une incommunicabilité grandissante entre les hommes, commandée par un dieu jaloux de sa toute puissance.

Ce mythe biblique m’a paru coller parfaitement à la situation de l’occident moderne, impérialiste et dominateur dans beaucoup de domaines, et en particulier, pour ce qui nous intéresse ici, en art:

Le XIXe siècle éclectique avait en effet d’abord voulu récupérer dans un vocabulaire moderne rationalisé, l’ensemble des styles pêchés dans l’histoire de tous les peuples ; puis le XXe siècle les a, au contraire, rejetés tous, pour tenter de trouver, par l’expérimentation, le langage pur de la modernité. Mais la pureté moderne des uns n’a pas été celle des autres, et, comme à Babel, la signification des œuvres s’est peu à peu diluée dans le maelström médiatique des postures d’artistes, et de leurs grimaçants oripeaux.

"Pour avoir oublié que le langage n'est, de l'individu qui en use, ni la communication ni l'expression, mais qu'il en est en réalité la mesure, le chef d'oeuvre avait cessé d'avoir un sens. C'était la vie même, en soi et pour soi, qui était devenue une oeuvre,{...}Etre à soi-même son modèle, son juge et son adorateur."
(Jean Clair, Court traité des sensations).

Ma toile représente une tour de Babel éclectique inachevée, rappelant le haut des premiers gratte-ciels américains. Au premier plan, on voit le roi Nemrod (emprunté à la tour de Babel de Bruegel), qui, prenant à témoin deux mystérieux personnages sortis du Laocoon d’El Greco, tente en vain de rassembler quelques acolytes vedettes de la peinture du XXe siècle, devenus aveugles les uns aux autres, et rendus impuissants à force de délire schizophrénique.