présentation des peintures synchronistiques

lundi, décembre 24, 2007

INSTRUMENT ET MILIEU


Chaque chose identifiable peut l'être de deux façons : soit comme une chose que l'on voit ou que l'on imagine de l'extérieur, soit au contraire comme quelque chose que l'on perçoit ou que l'on ressent de l'intérieur. Cette distinction, fondamentale, mérite que l'on s'y arrête quelques instants.

Prenons comme exemple une simple maison : la voir de l'extérieur ou de l'intérieur signifie, dans un premier degré du sens, qu'on la considère soit comme un objet distinct (une boule, en vocabulaire topologique) posé dans un paysage à la fois support et fond, soit comme un environnement, un milieu, dont on ne perçoit pas la globalité, dans lequel on évolue, et où peuvent être posés d'autres objets considérés de l'extérieur.
Cette première dualité de la maison, simple et immédiate, n'est pas la seule entraînée par un regard extérieur ou intérieur. Il y a en effet une autre façon d'être extérieur ou intérieur par rapport à une chose : c'est en quelque sorte une façon sentimentale, faisant état de l'attachement que l'on a ou non vis à vis de la chose considérée. Si je suis totalement extérieur à une chose, cela signifie aussi que je n'entretiens pas de rapport affectif avec cette chose, qu'elle m'est relativement indifférente. Cela ne veut pas dire que je ne m'y intéresse pas, mais que je la considère simplement dans son intérêt instrumental ; je l'objectalise, je l'instrumentalise. Si par contre je suis capable de me mettre "à la place" de cette chose, où de la comprendre de l'intérieur, de voir sa profondeur, j'y suis alors beaucoup moins indifférent, j'opère inconsciemment une analogie entre une part de moi-même et certains aspects de cette chose, créant de fait un "attachement", un lien, entre mon être et son être. Cette chose n'est plus alors un simple instrument, mais un objet doué d'intériorité, on pourrait dire un "contenant" imaginaire et affectif. Cet exemple montre qu'une maison peut ainsi être perçu soit comme un simple instrument, machine à habiter, c'est-à-dire objet n'ayant d'intérêt que pratique et dépourvu de toute dimension spirituelle ou affective, soit comme un lieu de vie, chargé de souvenirs ou d'évocations, territoire en prolongement de moi-même ou de quelque autre habitant qui ne m'est pas indifférent. Ce n'est plus alors un objet, un instrument, une machine, mais plutôt un foyer, un lieu, un milieu de vie.

jeudi, décembre 06, 2007

Villes imaginaires de Chirico

Les joies et les énigmes d'une heure étrange, G. de Chirico, 1913

Villes vides, endormies, électriquement chargées après une chaude journée ; attente, anxiété, prémonition d’un événement inconnu. Ombres longues et noires, exaspération des formes. Archétypes, villes en deçà - ou au delà - de la ville réelle, où circulent des âmes au corps incertain.
Ces lieux déserts, étranges et profonds, sont formés par des souvenirs qui ont quitté la référence temporelle pour devenir des oracles. Chirico invente un entre-mondes crépusculaire, baigné dans la lumière oxymorique d’un soleil nocturne. Evidence du mystère et mystère de l’évidence.

Les scénographies urbaines de Chirico sont aussi prégnantes et signifiantes que celles des trois fameux panneaux de villes idéales peints à la Renaissance, et conservés à Urbino, Berlin, et Baltimore.

Même impression de vide, propre à tout décor attendant un spectacle. Même force onirique, produite par une cohérence poétique sans faille. Mais si les scènes architecturales de la Renaissance italienne glorifient l’espace rationnel de la géométrie euclidienne, et l’âge d’or de l’architecture antique retrouvé, les décors urbains de Chirico brisent le point de fuite unique et annoncent la Relativité ; de façon beaucoup plus subtile d’ailleurs que les contorsions cubistes : on n’est pas devant un manifeste esthétique, mais devant une captation de la sensation diffuse de déséquilibre. Et l’architecture, au lieu de présenter une ville modèle, se replie sur quelques arcanes stylisés : statue, place à arcades, tour, gare avec horloge, mur cachant l’horizon, cheminée d’usine… et toujours un train qui passe. Ces éléments semblent provenir d’un mystérieux jeu de tarot. Comme si chaque peinture était une partie de cartes divinatoire, annonçant l’imminence d’on ne sait quelle attaque contre l’éternel urbain.

samedi, décembre 01, 2007

Le paysage urbain perd l’équilibre… attention au crash


Depuis le début du XXe siècle, l’injonction de modernité a conduit nos sociétés occidentales - rejointes depuis peu par quelques grands pays de l’ancien tiers-monde, à faire la course. Course au progrès ; course au confort ; course à la nouveauté tous azimuts ; course aussi pour tenter d'échapper au vide qui cerne de toutes parts notre minuscule et fragile planète. Nous pressentons en effet que toutes nos civilisations et notre existence même, au milieu d'un univers terriblement hors d'échelle, sont en équilibre sur un fil ténu. La moindre variation de température, le moindre évènement venant perturber notre banlieue galactique et nous voilà pour toujours broyés dans le néant. Certains pensent justement que la course effrénée dans laquelle nous semblons engagés nous mènera plus vite encore à la catastrophe planétaire. Mais notre inconscient, qui tient le registre intérieur des actes de la vie - victoires et défaites - depuis les premiers soubresauts de nos ancêtres sous-marins, sait bien que celui qui arrête le premier de courir est le premier à être dévoré. La course, cette fuite en avant éperdue, dont certains arrivent tout de même à se griser, est devenue le principal critère de validité des œuvres humaines. Cela témoigne simplement que nous sommes dans un monde angoissé, gagné par la panique. Un monde qui s'aveugle de vitesse, et qui souhaite ne jamais se retourner ou s'arrêter, de peur de découvrir de terribles vérités. Et bien malin celui qui peut échapper à cette grande frayeur qui, sans jamais être dite, anime le monde contemporain.

C'est donc une donnée qu'il faut accepter : le mouvement brownien de nos projets ne cessera pas de croître, du moins tant que nous n'aurons pas découvert un autre pan de la réalité, capable de nous redonner une place plus visible et plus solide dans le grand livre de l'univers (il y a à peine quelques siècles, nous en étions encore le centre, et le principal protagoniste).

L'art plastique et l’architecture nous offrent, dans tous les "novlangues" auxquels se plaisent les créateurs, mille cris d'espoir ou d'angoisse, et un foisonnement de recettes révolutionnaires, dont la plupart ne seront plus, d’ici cinquante ans, écoutées par personne, et seront remisées au grand musée des curiosités inutiles. Un peu comme les journaux qui traînent dans les salles d'attente et qui ont perdu tout intérêt parce qu'on connaît le dénouement des évènements sur lesquels ils faisaient porter le suspens. De plus en plus, les œuvres d’art sont à court terme ; elles parlent du présent, et pour le présent, parce que l'horizon prédictif de la civilisation en général, et de l'art en particulier, s'est sérieusement rapproché. L'heure n'est plus à l'invention d'empires millénaires, et chacun se satisfait de la célébrité d'un jour, sanctionnée par une belle parution dans les médias.

Mais dans ce joyeux chaos où d'aucuns voient une nouvelle Renaissance, et où en tout cas, chacun est libre de faire son marché comme il l'entend (en fonction bien sûr de l'épaisseur de son "porte-monnaie culturel"), le paysage - ce cadre étrange qui intègre nature, harmonie, et complexité - craque de plus en plus ; et nous n'y sommes pas indifférents parce qu'il est notre mémoire, notre inconscient collectif. Il y a bien sûr ceux qui pensent que le paysage culturel est de toute façon le reflet de la société et que quoiqu'il lui arrive, c'est très bien parce que c'est l'expression d'une vérité sociale. En deux mots, ils apprécient et appellent à la transparence du paysage et des oeuvres. Pour eux, le paysage est avant tout un témoignage, où seule la vérité compte ; ou encore c'est un symptôme, et s'il y a problème, c'est la maladie qu'il faut rechercher et soigner ; alors le symptôme mauvais disparaîtra de lui-même. Seulement la maladie de l'environnement culturel est complexe ; il y a beaucoup d'effets de feed back, et le non traitement des symptômes pernicieux risque de provoquer une aggravation du mal. Le paysage urbain, en particulier, est le lieu où se forme et se consolide notre imaginaire ; c'est une nourriture spirituelle dont il ne faut pas négliger la teneur en vitamines et l'équilibre diététique.